Notre nouveau ministre du Tourisme a pris publiquement des engagements pour l'année 2011 auprès du Premier ministre. On ne les connaît pas encore précisément ces engagements, mais on ne peut s'empêcher de se poser quelques points d'interrogation. Sont-ce des engagements sur le nombre de touristes, comme d'habitude depuis 40 ans ? Ou sur la qualité de la clientèle et les recettes en devises ( Euro-Dollars) qui en découlent. Car, pour ce qui est des recettes, nous sommes loin du compte. Nous piétinons depuis les années 80, même si le nombre d'entrées et celui des nuitées subissent une inflation effrénée. Sur quelle stratégie actuelle ces engagements sont-ils faits ? Jusque-là nous avons fait la course au nombre d'entrées, au nombre de lits, sans prendre en considération les recettes et sans tenir compte de la dévaluation compétitive du dinar, ni de la baisse des prix, suite à la dégradation du service et de la course à la baisse entre hôtels. Pour arrêter l'hémorragie et assainir le secteur, notre tourisme a besoin d'une révolution. La révolution du 14 janvier doit se faire non seulement aux plans politique et social, mais aussi économique, en révisant fondamentalement notre stratégie économique secteur par secteur, car tout est lié. Concernant celui du tourisme, je prendrai comme référence l'année 1986. En cette année-là, le conseil économique et social présidé alors par MR Mohamed Ennaceur, examinant le VII plan, avait établi à propos du tourisme sur rapport d'une précision et d'une lucidité telles que l'on pourrait le reprendre à la lettre aujourd'hui et l'appliquer dans ses aspects, détailler les recommandations, les défauts et les actions à mener, tout y est comme s'il s'agissait de 2010, comme si ce secteur avait hiberné, figé pendant 30 ans. Durant toute cette période, et à nos jours, toutes les études faites à coup de millions par les bureaux étrangers spécialisés, français, japonais, et y compris la grande trouvaille des 160 mesures à prendre, un vrai show lancé à grand fracas en septembre 2010, n'apportent rien de nouveau. Ils ne font rien d'autre que reprendre sous une forme ou une autre, ce rapport du conseil économique et social datant des années 80 et tous les thèmes qui y sont développés, rabâchés à satiété chaque année sans apporter le moindre remède. En 1986 déjà, le conseil faisait ressortir dans son analyse les failles de secteur, qui perdurent jusqu'à ce jour. - Unités hôtelières dégradées. - Mauvaises prestations des services - Vieillissement du parc hôtelier - Manque d'hygiène - Animation inexistante - Accroissement inconsidéré du parc hôtelier - Attribution des étoiles en dépit des normes - Diversification du produit à la volée et sans fondement - Financements déséquilibrés - Promotion inefficace - etc. etc. Pendant 30 ans, les Plans nationaux et les ministres du tourisme défilent, les défauts et les mêmes maux perdurent et plombent le tourisme tunisien. C'est pourquoi je dis que ce secteur a besoin d'une révolution. Ses revendications de base sont entre autres : Une révision totale de tous les aspects du secteur directs et indirects. Un redéploiement hôtelier avec spécification et classement des zones, en zones haute gamme 4 et 5 étoiles tel (Marbella) et zone de moyenne gamme 3 et 2 étoiles tel (Malaga). Cet exemple de redéploiement espagnol imité il y a plus de 30 ans a donné ses preuves. Je pourrais aussi citer la Sardaigne dont la moitié est consacrée au luxe et aux milliardaires et l'autre moitié au tourisme populaire. Aucun mélange. Le Maroc, il y a une vingtaine d'années, a procédé au même redéploiement en prenant comme critères la qualité du service, la qualité de la clientèle et la recette en devises. La promiscuité et le mélange des genres des deux types de touristes ne peuvent que tirer l'ensemble vers le bas de gamme. Il y va du tourisme comme de la finance, la mauvaise monnaie chasse la bonne. Ce redéploiement est dur, certes, mais nécessaire. C'est la révolution du produit. Autre revendication, la révolution des esprits. Responsabiliser les hôteliers qui ne sont en final que des hommes d'affaires qui doivent prendre leurs responsabilités en tant que tels et assumer eux-mêmes leurs propres risques, comme les industriels ou toute autre entreprise économique. Au fil des années, bonnes ou mauvaises pour le tourisme, que constate-t-on ? Lorsque les saisons sont juteuses, on ne les entend guère les hôteliers, ces hommes d'affaires avertis s'affairent à engranger dinars et devises. Mais à la moindre baisse du flux touristique, ce sont les cris et les larmes. Ils courent se réfugier sous les jupons de l'Etat et exigent subventions, baisse d'impôts, exonérations, compensation des intérêts bancaires, annulation ou réduction des dettes, baisse des coûts de l'électricité et de l'eau et j'en passe, qu'ils obtiennent grâce à un chantage permanent, agitant le chiffon rouge des emplois et des rentrées de devises. Or l'emploi est plutôt un atout majeur pour les hôteliers lesquels peuvent et doivent relever le niveau de leurs prestations en embauchant 20% de personnel complémentaire et nécessaire à cet effet. Ils gagneront en qualité, en nombre d'étoiles et en rentabilité. La règle des bonnes années, j'embauche, les mauvaises, je débauche, est un réflexe d'un autre temps. Pour avoir un personnel qualifié, il faut le stabiliser, le recycler chaque année. Il faut aussi pourvoir les services qui ne sont pas aujourd'hui rendus aux clients et qui devraient faire partie intégrante du service de qualité. Le personnel dans un hôtel n'est pas une charge, c'est un outil de production et de rentabilité, ceci pour l'argument emploi. Quoi qu'il en soit, l'Etat ne doit plus intervenir dans ce secteur, il a d'autres secteurs à développer et d'autres défis régionaux à relever et auxquel il doit consacrer tous ses moyens, toutes ses ressources et toute sa volonté, le secteur agricole d'une part et les régions du Centre et Sud-Ouest d'autre part, priorités des priorités. Le voile qu'a levé le 14 janvier nous a offert un spectacle tel que c'est une honte pour chaque Tunisien. Pour la sauvegarde de tout le secteur touristique, arrêtons net toute création de lits sinon l'extension des hôtels déjà en activité. Arrêtons de bétonner le littoral à tort et à travers d'hôtels improductifs et rentabilisons d'abord le parc existant. Sauvegardons la beauté de notre littoral et annulons tout projet de nouvelle zone. Arrêtons la course à l'inflation des lits. Quant à l'argument des devises et de la balance commerciale déployé par les hôteliers, maintenant que nous avons d'éminentes compétences économiques et économétriques à la tête du ministère des Finances, de la Banque centrale, du ministère Tourisme et du ministère du Commerce, je les conjure de nous établir enfin scientifiquement par un tableau transparent, des analyses, des statistiques, justes et vraies, et l'on sait que celles actuelles ne sont pas fiables, de nous donner la résultante nette du secteur touristique, son impact net sur la balance commerciale, et sa rentabilité macroéconomique, en incluant bien sûr la part de la caisse de compensation dont il bénéficie et supportée par l'Etat et par nous tous. Pratiquant la politique de l'autruche, personne jusque-là n'a voulu le faire, malgré des appels réitérés, car les lobbies bien connus veillent, pèsent de tout leur lourd poids sur l'administration et les décisions gouvernementales au plus haut niveau. Ce mal aussi est à extirper par la transparence. Ce travail contribuera à établir une vérité économique et une stratégie nouvelle salvatrice pour le tourisme et pour les secteurs intervenants. Je sais que vous pouvez faire ce travail brillamment.