Par Abderraouf TEBOURBI * Si une baisse de la clientèle en provenance de l'Europe a été constatée, la responsabilité de la crise mondiale n'est peut-être pas la seule en cause ! D'ailleurs, la croissance du tourisme mondial infirme largement ce point de vue. Sans stratégie cohérente, la Tunisie s'est trouvée engagée dans la voie du tourisme «bon marché». Les séjours dépersonnalisés ne sont plus une garantie de réussite. Il en résulte l'absence ou le désengagement des grandes chaînes hôtelières de renommée internationale et des investisseurs étrangers et notamment arabes. Notre tourisme est alors réduit á l'échelle tuniso-tunisienne. On déplore la faiblesse, voire l'absence de professionnels tunisiens influents parmi les opérateurs au sein des pays émetteurs ! Ceci pouvant être sous forme de participation financière ou opérationnelle. On relève en outre cette absence dans le classement de l'Arabian Travel News des professionnels influents du tourisme arabe, notant la défection du «lobbying» ou de réseaux professionnels. A contrario, étant à l'écoute des économistes et professionnels du tourisme, le Maroc sous l'impulsion directe du roi Mohamed VI œuvre au développement d'un tourisme ciblé et durable en mettant en œuvre d'importants moyens humains, financiers et relationnels. Pourtant forte de sa culture, de son histoire, de la richesse et de la diversité de ses paysages, la Tunisie sous Ben Ali a complètement délaissé la politique structurelle de régulation du secteur, adoptant des politiques farfelues de profit immédiat et mal partagé. Inévitablement, il en a résulté une régression touristique, appuyée par la non-ouverture du ciel excluant toute autre forme de commercialisation. Ce qui n'a pas manqué de profiter à une minorité d'opérateurs. Pour une culture du tourisme durable et une stratégie cohérente Bien que le tourisme durable soit un concept élaboré par les pays du Nord, cette expression demeure porteuse d'une valeur inestimable : Le tourisme en tant que culture de l'espace partagé entre visiteurs et visités. Cela peut paraître utopique. Les visités sont fiers et heureux d'offrir leur riche patrimoine, tandis que les visiteurs sont fascinés par la brillante civilisation de notre pays. Les visiteurs ne se contentent plus que de cela, ne voulant pas séjourner exclusivement dans une ‘‘bulle balnéaire''. Brader la destination Tunisie n'est jamais la bonne solution et a fortiori si l'on considère que les touristes appartiennent à plusieurs catégories de classes « upper, lower et middle » selon la classification de L.Warner. En d'autres termes, un tourisme qui serait seulement «social» n'est pas avantageux pour la Tunisie. Il vaut mieux se placer dans un créneau où les touristes dépensent davantage devant s'agir de définir d'autres produits, de se doter d'une stratégie claire et de s'engager dans une réflexion constructive. Si la Tunisie a opté pour un tourisme de «tour-opérateur», des occasions sont à saisir dans l'application des nouvelles technologies et la mise en œuvre de nouvelles méthodes et pratiques de vente. Le touriste, où qu'il se trouve, doit pouvoir acheter son séjour directement auprès de l'hôtelier. Cette théorie ne pouvant s'appliquer que s'il existe une meilleure desserte aérienne, permettant aux compagnies notamment «low cost» de commercialiser librement la Tunisie. Par le biais de ces centrales de réservation, cette desserte permettra une collaboration directe ou indirecte, voire de partenariat avec l'hôtellerie internationale. Tout en préservant nos intérêts avec les tour-opérateurs et voyagistes européens, l'objectif est de diversifier l'offre afin d'éviter la saisonnalité et tirer les bonnes leçons de notre expérience antérieure. Au fur et à mesure que la Tunisie va vers une stabilité et que la Révolution tunisienne fournit une image positive de notre pays dans le monde entier, toute décision prise aujourd'hui sera prépondérante pour l'avenir de notre tourisme et de l'emploi. Ce secteur devient aujourd'hui la première activité et le premier employeur à l'échelle mondiale. L'Organisation mondiale du tourisme prévoit à l'horizon 2020 un milliard et demi de touristes qui généreront quelque trois mille milliards de dollars. La Tunisie doit saisir toutes ces opportunités pour prendre sa place dans cette nouvelle forme de l'économie mondiale. Notre tourisme devra évoluer non pas à plusieurs vitesses comme les années précédentes, mais plutôt avec un développement intérieur du pays, équivalent aux zones balnéaires et développer un tourisme rural et durable qui profiterait notamment aux régions les plus déshéritées et à la jeunesse tunisienne. Qualités humaines pour une meilleure productivité L'exigence de la qualité du service implique la recherche d'un véritable professionnalisme. Il ne suffit pas de créer des organismes de formation dans pratiquement toutes les zones touristiques, mais il faut surtout former des gens qualifiés et capables de s'intégrer à la réalité du terrain. Pour cela, la coopération avec des organismes et écoles reconnues par la profession est indispensable, afin de s'adapter aux standards des chaînes hôtelières internationales. Ces hôtels recrutent déjà auprès de ces établissements d'enseignement et de formation, qui dispensent un savoir-faire et préparent les diplômés à des carrières nationales et internationales. Certaines destinations touristiques préconisant cette stratégie, comme les Emirats Arabes Unis, l'Ile Maurice ou encore la Thaïlande se prévalent d'une qualification aux normes et standards internationaux drainant l'investissement extérieur et l'arrivée des chaînes renommées. Elles recrutent un personnel qualifié formé aux normes internationales, nanti d'un plan de carrière. On ne le rappellera jamais assez, le taux de croissance du secteur du tourisme est égal au taux de croissance de sa «productivité» additionné au taux de croissance des «emplois». A titre d'exemple, en France, dans les années 90, on a observé une croissance des fréquentations touristiques; les professionnels du tourisme ont recruté du personnel peu «qualifié» qui a engendré un «turnover» important, affaiblissant sensiblement la productivité et la recherche expérimentale dans les universités et écoles, aboutissant inéluctablement à une crise du secteur. Ce n'est pas par hasard si aujourd'hui les professionnels du tourisme à l'échelle internationale recrutent leurs personnels issus des écoles hôtelières d'une part et leurs cadres supérieurs auprès des écoles spécialisées en «management hôtelier et touristique» d'autre part, plutôt que de recruter auprès des écoles de commerce dispensant un enseignement plutôt généraliste. L'enseignement supérieur en France s'est par ailleurs intéressé aux formations Bac+4 et +5 en tourisme, incluant des modules de recherche, tandis que les professionnels mettent foncièrement l'accent sur la productivité. Si de nombreux postes sont à promouvoir dans le secteur du tourisme pour nos jeunes, à côté des profils spécialisés, il ne s'agit plus d'être seulement gestionnaire mais d'avoir de solides connaissances en culture professionnelle de la recherche, ce qui constitue un élément précieux et une condition de réussite et de succès pour la formation supérieure en tourisme. L'Université de Perpignan en France parle de la science du tourisme avec ses principes fondamentaux qui contribuent à l'illustration de la culture du tourisme, à la mutation permanente de cette industrie et à la requalification du personnel. En Tunisie, au niveau des formations supérieures, il conviendrait d'introduire des modules de recherche appliqués, afin que les étudiants futurs cadres nationaux en tourisme et hôtellerie puissent participer à cette mutation.