• Les participants signent une charte citoyenne de seize engagements Quand les Tunisiens, longuement écartés de la vie politique et empêchés de dire leur mot sur tout ce qui intéresse leur vie et leur pays, se liguent et se mobilisent, à travers leurs associations civiles, pour inviter les politiques à réagir et à prendre les décisions qu'impose l'évolution de la situation politique, les résultats ne se font pas attendre. Hier après-midi, tout au long de plus de quatre heures, l'association «Citoyens et solidaires» a invité des Tunisiens et des Tunisiennes jaloux de la Révolution du 14 janvier 2011 et déterminés à la préserver contre toute forme de dérapage ou de dérive à penser librement et sereinement la meilleure stratégie à mettre en œuvre en vue de la création d'un front démocratique civil. Un front constituera un nouveau pacte social à même de prémunir «la jeune expérience démocratique tunisienne» contre ceux qui cherchent à la faire dévier des objectifs qui lui sont assignés. Et la fête citoyenne de commencer, bien avant les discours politiques et les envolées enflammées des représentants du Parti démocratique progressiste, d'Ettajdid et du Front démocratique pour le travail et les libertés, par la signature de la charte citoyenne par tous les participants et participantes à cette manifestation politique, culturelle et artistique pas comme les autres. M. Faouzi Mouaouia, représentant de l'association «l'Initiative citoyenne», à l'origine de la charte citoyenne, devait préciser que «la citoyenneté libre constitue aujourd'hui une valeur cardinale et que de plus en plus de citoyens s'activant au sein de l'association ou ailleurs réagissent aux dérapages qui semblent menacer la révolution et appellent à consacrer les principes de la modernité et de l'ouverture ainsi qu'à un mouvement de mobilisation citoyenne afin que la révolution tunisienne soit réellement une révolution démocratique et moderne». Une révolution digne de mériter d'être le prolongement et l'héritière du mouvement réformateur lancé par Haddad, Thaâlbi, Mohamed Ali Hammi et les leaders du Mouvement de libération nationale. Les commandements de l'avenir Et les 16 commandements qui représentent le socle de la charte citoyenne de révéler que les initiateurs de la manifestation sont impliqués dans ce débat passionnant traversant le paysage politique national depuis quelques semaines et militant pour faire de l'édification de la Tunisie démocratique une affaire collective, sur la base de constantes immuables et de valeurs fondamentales partagées. De l'opposition catégorique à «toute instrumentalisation idéologique et politique de l'islam» à «la consécration du droit de toutes les régions à un développement équitable», en passant par la consolidation des acquis de la femme à travers la «consécration de l'égalité universelle», «l'égalité dans la citoyenneté et dans les droits économiques, sociaux, politiques et culturels», «la reconnaissance de l'alternance pacifique au pouvoir par des élections régulières, libres, démocratiques et transparentes», etc., les fondements sur lesquels repose «la charte citoyenne» constitueront les indicateurs qui marqueront les interventions de MM. Maher Hnein (PDP), Ahmed Brahim (Ettajdid) et Mustapha Ben Jaâfar (Fdtl). Et c'est à Maher Hnein d'ouvrir le bal en proclamant haut et fort‑: «Merci aux jeunes qui ne finissent pas de nous surprendre agréablement par leurs initiatives, leurs appels et leurs discours qui tranchent avec le passé et ses méthodes d'intervention sur la scène politique nationale». Il souligne, encore, sa conviction que «la Tunisie nous appelle aujourd'hui à l'édifier ensemble. Le projet de la modernité charrié par la Révolution du 14 janvier dernier s'impose, désormais, comme le projet de la société tunisienne dans son ensemble, avec ses composantes politiques et civiles». Au PDP, les choses sont claires‑: «La Tunisie à édifier se doit d'offrir un développement équilibré et équitable entre les différentes régions, sans exclusion ni marginalisation, et de donner au monde l'image d'un véritable Etat de droit et d'institutions et non d'un Etat de personnes ou de régions. Un Etat où les mosquées sont réservées exclusivement à la prière et non aux joutes politiques». Le Parti démocratique progressiste signera-t-il de ses dix doigts pour la naissance du Front démocratique civil? M. Henein répond par l'affirmative à condition que «le front soit solidaire, que ses objectifs soient clairs et que son émergence soit le couronnement d'un véritable débat national sérieux». L'intérêt national au-dessus de toute considération Ahmed Brahim, premier secrétaire général du Parti «Ettajdid», est encore plus catégorique et tranchant : «Nous sommes solidaires, sur tous les plans, de l'appel à la création d'un front progressiste moderniste ouvert à toutes les bonnes volontés en vue de sauver notre pays qui passe par une étape décisive et difficile», dit-il. Il va encore plus loin en dénonçant avec fermeté le discours double de certains partis qui cherchent à faire régner la discorde entre les Tunisiens en instrumentalisant l'Islam et en plaçant leurs intérêts partisans au-dessus de l'intérêt national. Cette position est partagée par plusieurs jeunes qui militent au sein des nouvelles associations qui ont vu le jour à la faveur de la révolution de la dignité ! Aussi, le jeune Ghassène Chaâri, membre de l'Association l'Union des Tunisiens indépendants pour les libertés (Util), considère-t-il que «l'heure est venue pour s'unir, composantes de la société civile et partis politiques partageant les idéaux de modernité, de démocratie et de dialogue». «Les Tunisiens qui ont peur pour leur pays et qui veulent que la révolution ne soit pas perdue du fait des agissements politiciens de certains courants extrémistes, qu'ils soient de gauche ou de droite, ont décidé d'agir et de faire entendre leur voix en proclamant la charte citoyenne, un véritable pacte civil et social pour un avenir commun», ajoute-t-il. Ils viennent pour comprendre Pour le Dr Mustapha Ben Jaâfar, secrétaire général du Front démocratique pour le travail et les libertés, «les jeunes qui ont réalisé la révolution ne seront jamais assez remerciés pour ce qu'ils ont fait. D'abord pour avoir réussi à concrétiser nos rêves et les combats pour lesquels nous avons sacrifié notre jeunesse et les plus belles années de notre vie. Ensuite, pour avoir séduit le monde dont les représentants vivent aujourd'hui, nombreux, chez nous pour nous féliciter et pour comprendre ce qui s'est passé». Le patron du Fdtl exprime, toutefois, son ardent souhait que «ces messages de l'Occident comprennent, une fois pour toutes, qu'il ne peut plus y avoir de soutien à la dictature et aux dictateurs». Volet responsabilisation des jeunes, M. Ben Jaâfar exprime sa conviction qu'il est impératif d'ouvrir la voie à la jeunesse afin qu'elle accède aux postes de décision et de responsabilité aussi bien au sein des structures gouvernementales que des partis politiques. Il en est de même pour le lancement du Front démocratique civil qui aurait pour objectif de protéger et la révolution et la Tunisie contre les dépassements et les abus. Le Dr Ben Jaâfar ne manquera pas de rappeler l'initiative du Forum lancée début 2010 pour l'instauration d'un front sous la devise «citoyens et non des sujets». De son côté, la jeune étudiante à l'Institut des hautes études commerciales de Carthage et militante de l'association «Initiative citoyenne», Aida Fehri estime que «la Tunisie a besoin de ce genre de front démocratique et civil qui pourrait être élargi, à l'avenir, à d'autres partis politiques et à d'autres associations de la société civile». Enseignant de mathématiques appliquées à l'université tunisienne et indépendant politiquement, le Pr Ali Saâda estime «qu'il est nécessaire de montrer qu'en Tunisie, on arrive à exprimer l'attachement à l'instauration de la démocratie pour répondre dignement au cri lancé le 17 décembre 2010 ayant abouti à la chute d'un régime dictatorial. Notre ambition aujourd'hui est de faire appel à tous pour adhérer à un front aussi large et ouvert que possible qui ne rejette personne quelles que soient ses idées, ses convictions religieuses ou ses orientations politiques». Temoignages La parole aux jeunes L'Association «Citoyens et solidaires» a organisé, hier, un meeting auquel ont pris part le Parti démocratique progressiste, le Mouvement Ettajdid et le Forum démocratique du travail et des libertés. A l'intérieur de la coupole d'El Menzah, l'ambiance était à la fête. Politique et musique ont fait très bon ménage. Après qu'Ahmed Ibrahim, Maher Hnein et Dr Mustapha Ben Jaâfar ont présenté les orientations de leurs partis soutenant d'un commun accord l'idée de constituer un front pour préserver les valeurs de la liberté et de la démocratie devant une assistance attentive, Amel Mathlouthi, Amel Hamrouni et d'autres artistes ont fait leur show… Nous avons recueilli quelques impressions : Aymen Rezgui (journaliste à Attariq Aljadid) «Constituer un front indépendant de la jeunesse» «Le mouvement Ettajdid soutient la constitution d'une large alliance qui regrouperait les partis qui partagent une même vision de la liberté et de la démocratie et qui sont soucieux de défendre les valeurs de la citoyenneté et de la République. Mais, il faut faire attention et tirer des leçons du passé, sachant que cette initiative n'est pas nouvelle et qu'elle a déjà été lancée en 2004, en 2009 et en 2010. Les alliances à l'instar de celle de l'initiative démocratique ont échoué à cause de divergences politiques au sein du front qui a été constitué. Je pense que les jeunes doivent être des acteurs à part entière et contribuer à la prise décision en donnant leur avis sur les programmes et les projets politiques. Nous ne devons pas être considérés comme des soldats de paille et servir juste à remplir les salles et à applaudir les partis. Les jeunes doivent constituer un front indépendant de la jeunesse qui est là pour veiller aux acquis de la révolution. Il y a un autre point qui est important. Il ne faut pas que politique et religion soient mêlées. On ne doit pas se servir de la religion à des fins politiques. Les mosquées ne doivent pas se transformer en des lieux de propagande politique. Les gens vont dans ces lieux de culte pour prier et non pour écouter des discours politiques». Rafik Jrad (employé) «Former un bloc contre les forces conservatrices» «Face aux islamistes qui forment un front conservateur et qui usent d'un double langage, les forces progressistes sont encore éparpillées. Je pense que les partis et les associations qui sont partisanes de la démocratie et qui sont attachés à l'égalité des droits entre les hommes et les femmes et au respect des différences et des libertés doivent s'unir en un front progressiste démocratique pour préserver les acquis de la révolution et éviter un éventuel retour en arrière. Le Forum démocratique pour le travail et les libertés, le Parti démocratique progressiste et le Mouvement Ettajdid qui adhèrent à cette idée sont à féliciter dans l'attente qu'ils soient rejoints par d'autres partis et associations». Inchirah Ahbabou (architecte) «Lutter contre l'obscurantisme et l'instrumentalisation de la religion» «Il faut lutter contre l'obscurantisme. Je suis totalement opposée au fait que des personnes ou des partis fassent de la politique au nom de l'Islam. Je suis contre l'instrumentalisation de la religion. La religion n'est pas l'affaire d'un parti politique mais une affaire personnelle. On ne doit pas s'en servir à des fins politiques. La position du Mouvement Ettajdid est on ne peut plus claire. Il faut que les partis et les associations attachés aux valeurs de la démocratie et du respect des droits de l'Homme forment un front politique et civil pour contrecarrer la montée de l'islamisme». Amira Zghidi (fonctionnaire) «L'intérêt du pays doit primer avant tout» «L'idée d'organiser cette rencontre-débat est intéressante. C'est une occasion de découvrir les objectifs et les programmes des partis. J'ai toujours eu avant la révolution un penchant pour le Mouvement Ettajdid. C'est un parti militant et qui a des orientations intéressantes. Un message clair ressort des trois interventions qui ont été données par le PDP, le FDTL et Ettajdid. Il faut constituer un front démocratique pour protéger les acquis de la révolution. En effet, je pense que c'est très important pour éviter tout retour en arrière. Certains chefs de partis ont tendance à se mettre trop en avant en pensant à leurs propres intérêts. Or il ne faut pas oublier que c'est l'intérêt du pays qui prime». Propos recueillis par I. HAOUARI Reportage photos : K. KHANCHOUCH (vir galerie photos http://www.lapresse.tn/galerie-de-photos.html)