Les uns m'avaient dit : «Hadège, c'est dans le gouvernorat de Sidi Bouzid», les autres m'ont, par la suite, affirmé que le même Hadège de l'ouest -pour le distinguer du Hadège de l'est, dans le plateau des Matmata—se trouve dans le gouvernorat de Gafsa. Je m'étais bien rendu dans cette oasis nichée dans les replis du jebel Bou Hedma par une piste épouvantable d'une dizaine de kilomètres (qui m'ont en paru cent) au départ de Menzel Bouzaïane, dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, sur le conseil du délégué de l'époque. La piste n'était pas seulement à la limite du praticable, mais de surcroît trouvait le moyen de fourcher en plus d'un endroit. Au bout, la belle récompense d'une petite oasis de montagne dans un superbe décor rocheux. Se pourrait-il que le Hadège de Gafsa, authentifié par un autre délégué, celui de Belkhir, cette fois il y a seulement trois mois, soit le même ? Pour en avoir le cœur net, mettons le cap sur cette destination au départ de Gafsa. Pour cela, on emprunte la sortie est de Gafsa, direction Gabès. Rapidement, on débouche sur la belle oasis d'El Guetar(autrement plus «oasienne» que celle de Gafsa) qui s'étale, immense tache de verdure, au creux d'une dépression que borde, sur notre gauche, cette barre montagneuse de couleur ocre qu'est ce versant du jebel Orbata. On traverse une cité sans grande originalité et on fonce, direction Belkhir, autre localité sans grand attrait qu'on atteint après avoir parcouru 44 km en longeant le superbe décor du jebel Chemsi. Là, on bifurque, direction Haoual el Oued. On se faufile dans un corridor qui s'insère entre les massifs du jebel Chemsi et du jebel El Khir. Après avoir frôlé une ancienne caserne aménagée au début du XX° s par l'armée française pour contrôler un vaste territoire au croisement des routes stratégiques qui conduisent vers Gabès, Kébili et Gafsa et qu'il fallait interdire aux rebelles de la région, le goulot débouche sur une vaste plaine où apparaissent les premiers talhs, un endroit que les autochtones appellent d'ailleurs Bled Ettalh, le pays du gommier (ou encore : l'acacia tortilis), cette espèce totalement disparue d'Afrique du Nord et qu'on ne retrouve plus que sous ces latitudes ou en Afrique subsaharienne. D'abord clairsemés, aux abords de la localité de Haoual el Oued, ces arbres se multiplient au fur et à mesure qu'on approche du jebel Bouhedma, direction nord-est. L'apparition d'une clôture sur plusieurs kilomètres nous rappelle que nous sommes en train de longer le parc national de Bouhedma, sanctuaire pour protéger cet arbre et plusieurs autres espèces végétales et animales menacées ou disparues et réintroduites ici, ce qui ne les a pas mis à l'abri du vandalisme de ceux qui considèrent que révolution est synonyme de désordre. Arrivée au pied de la montagne, la route prend son élan et part en zigzagant à l'escalade de pentes de plus en plus raides. On l'imite et on s'élance à la conquête des cimes non sans une certaine appréhension quant à la suite du parcours. Son tracé sera-t-il par la suite plus net que de l'autre côté ? Y aura-t-il des éboulis pour nous obliger à faire des contorsions ; des bifurcations ? Une industrie à implanter En prenant de l'altitude, on longe, à droite, le cours d'un oued dont les berges sont abondamment garnies de végétation. Cet oued-là n'est pas comme les autres, dans la région. L'eau y est courante et permanente. Son lit, s'élargissant avec l'altitude, accueille maintenant des bouquets de palmiers. Et puis, tout d'un coup, la route débouche sur une plate-forme tandis que les bosquets de palmiers deviennent plus drus en fuyant plus à droite. Un cirque de toutes parts cerné par les sommets cependant que la route s'évanouit et s'effiloche en pistes. Où sommes-nous déjà alors que nous n'avons parcouru qu'une courte distance en montagne ? Le jeune homme qui nous aborde cordialement nous informe que nous sommes à Hadège. C'est vrai, ce mausolée qui coiffe un piton est bien celui de Sidi M'hamed el Hadège. Mais alors, si près de la route ? Et ici, sommes-nous bien à Gafsa ? «Oui, vous êtes bien encore à Gafsa qui englobe aussi la partie inférieure de l'oued. Au-delà, c'est-à-dire à partir du mausolée, de l'oasis et de la piste devant vous, vous êtes à Sidi Bouzid.» Voilà donc le mystère ! Quelque part, dans un bureau, probablement à Tunis, un rond de cuir a tracé sur la carte une ligne incongrue pour délimiter la séparation entre les gouvernorats de Gafsa et celui de Sidi Bouzid. Ou alors, ayant eu vent de revendications opposées, il aura opté pour le jugement de Salomon : partager l'enfant entre les deux mères! Ce jugement n'a pas été bien pesé. L'oasis, un petit bijou au fond d'un ravin où coulent des sources, est de ce fait bien mal entretenue, les régions se renvoyant réciproquement la balle pour ce qui est de l'entretien. Bou Ali Ben Jeddou, le jeune garde champêtre chargé par la Direction régionale des Forêts de Gafsa de veiller sur les lieux, ne saurait assumer plusieurs missions à la fois: la surveillance et l'entretien de l'hygiène de laquelle les usagers des sources chaudes qui viennent ici régulièrement se baigner ne prennent pas particulièrement soin, jetant dans l'oued des tas d'immondices, en particulier les emballages en plastique, transformant l'adorable petite oasis en dépotoir. Bou Ali m'a bien promis, en véritable enfant de la Révolution, qu'il mobilisera ses camarades de Haoual el Oued pour venir ici faire le ménage. Mais combien de temps durera l'enthousiasme ? Parmi les principales industries qu'il convient d'implanter dans le gouvernorat de Sidi Bouzid qui en a tellement besoin, celle du tourisme vert n'est pas la moindre. Outre ce coin de paradis, la région dispose du formidable parc naturel national de Bou Hedma dans lequel s'incruste ce joyau. Qu'attend-on ?