Par Mohamed SASSI(*) Les Tunisiens ont, sans meneur et indépendamment des partis, au prix de leur sang et de grands sacrifices, poussé l'ancien dictateur vers la sortie, le 14 janvier 2011. Ils ont la ferme intention d'en finir avec son régime corrompu et d'édifier une démocratie effective. Depuis la fuite du dictateur, ils ont consenti d'autres sacrifices pour annihiler plus d'une tentative visant à contrecarrer leurs objectifs. La première de ces tentatives fut l'application de l'article 56 de la Constitution qui aurait permis au dictateur, en fuite, de rester président de la République avec tout ce que cela comporte. La seconde fut la nomination des caciques de l'ancien régime aux ministères clés. La troisième fut la nomination de 19 gouverneurs sur 24, parmi les figures indélébiles du RCD, le même scénario ayant été réédité pour la nomination des délégués. Sous la pression constante des acteurs de la révolution, épaulés par des patriotes sincères, deux autres acquis ont pu voir le jour : l'interdiction du RCD et l'élection d'une Assemblée constituante prévue pour le 24 juillet 2011. L'Assemblée constituante, l'un des objectifs fondamentaux de la révolution, est la première marche du processus démocratique. Le mode adopté pour l'élire, engagera la Tunisie pour des décennies. A ce propos, il a été déjà mis en évidence que dans la situation actuelle en Tunisie, le mode électoral sur des listes bloquées appliquant la proportionnelle, contrairement au mode électoral uninominal à deux tours ou éventuellement au mode électoral sur ses listes bloquées à deux tours, conduit à une Constituante non représentative et non crédible donc hypothèquera la Tunisie de demain. Les journaux de la place indiquent que les barons de la haute instance semblent déjà décidés à imposer aux Tunisiens le mode électoral sur des listes bloquées par gouvernorat et appliquant la proportionnelle. Or, une motion de soutien au mode électoral uninominal à deux tours circule depuis quelque temps, les signataires appartiennent à toutes les couches sociales, à tous les niveaux d'étude et à toutes les régions. Le premier lot qui compte déjà plus de signataires que les membres de la haute instance a été communiqué au journal Essabah. Cette haute instance menace le processus démocratique en s'appropriant la révolution et la souveraineté du peuple. En effet, au lendemain de la fuite du dictateur, trois commissions, inspirées par son dernier discours, ont été nommées. L'opacité de leur mission et de leurs objectifs apparaît comme un dernier hommage au dictateur. L'une des commissions fut dénommée "commission des réformes politiques". Elle n'a pas cessé depuis de changer de forme et de couleur : "Commission pour la réalisation des objectifs de la révolution", "commission pour la transition démocratique"; pour s'installer en qualité d' "instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, des réformes politiques et de la transition démocratique". Elle regroupe, pour le moment, 155 membres. Cette haute instance n'a pas de légitimité populaire. Elle n'est pas issue de la révolution. La majorité de ses membres ne peuvent prétendre, en aucun cas, représenter le peuple. Cependant, la haute instance, au vu de sa dénomination, et au vu de ses premiers actes, semble jouir de toutes les prérogatives. Elle a, de facto, le pouvoir de décision quant à la réalisation des objectifs de la révolution, des reformes politiques et de la transition démocratique. Elle s'est, donc, autoproclamée l'unique tuteur de la révolution et du peuple. Serions-nous en train d'assister, complices par notre silence, à l'édification d'une nouvelle dictature et d'un nouveau culte de la personnalité sur les tombes de nos martyrs? Soyons suffisamment sages pour rendre au peuple sa souveraineté et pour ce faire, commencer par organiser un référendum sur le mode électoral à adopter pour élire l'Assemblée constituante. Le référendum est devenu, vu les circonstances actuelles, la pierre angulaire de la construction démocratique souhaitée par tous les Tunisiens. Son organisation demande une semaine, alors que la haute instance s'est bien permis de prendre deux mois pour inventer le mode électoral, de triste mémoire, déjà pratiqué par l'ancien régime. *Ancien professeur à l'Ecole normale supérieure et à la faculté des Sciences de Tunis