Par Maher KAMOUN Je suis déçu et quelque peu inquiet quant à la manière dont sont traités certains responsables de l'administration, aussi bien par leurs hiérarchies que par leurs collègues et subordonnés. Dans un mouvement de contestation généralisée, non maîtrisée et souvent irresponsable, ceux-ci semblent confondre plusieurs concepts ou acceptions juridiques fondamentalement différents et faire plusieurs amalgames tout à fait injustifiés et foncièrement injustes. Or il n'y a pas de plus mortel que l'injustice… Le comportement «dégagiste», légitimé par la révolution, me semble avoir dépassé les limites de la cohérence, de la correction et surtout du droit et de la justice. Ses motifs avoués, non avoués, et souvent inavouables, ses effets directs ou induits, sont catastrophiques à plusieurs niveaux : - D'abord au niveau de l'Etat, de sa crédibilité, de son image et de son autorité qui se sont vus amoindris et bien altérés, - Ensuite, au niveau des victimes elles-mêmes, qui se sont vues traînées dans la boue, déshonorées, malmenées et faire souvent l'objet de violences morales et physiques injustifiées. - Enfin, au niveau du comportement sociétal, qui, dans un moment difficile de transition démocratique, semble avoir donné raison à l'abus, à l'injustice et à la violence et négliger les valeurs fondamentales de la justice, de la tolérance, de la solidarité et du respect des droits de l'Homme. Sans aller chercher les motifs réels de tel ou tel comportement «dégagiste» et de ses justifications profondes, il me paraît nécessaire aujourd'hui de rappeler certains principes fondamentaux et de clarifier certains aspects liés à cette question : - Toute confusion systématique entre l'exercice d'une fonction de responsabilité administrative et la culpabilité dont pourrait faire l'objet son titulaire n'est pas tolérable. En fait, et en droit, on ne peut être coupable que si l'on commet des actes contraires à la loi. - La confusion entre les divers types de responsabilités pouvant être engagées n'est pas non plus permise. Ces responsabilités ont souvent des procédures différentes et des effets juridiques, matériels et moraux incomparables. La responsabilité pénale ne peut ainsi et en aucun cas être confondue ni même comparée à la responsabilité politique. - La preuve reste l'élément fondamental pour l'engagement de toute responsabilité, quelle qu'en soit la nature. - Le droit de défense et le respect des procédures constituent des garanties fondamentales devant s'imposer à tous et en toute circonstance. - Il n'est pas question d'instaurer, dans une révolution qui se veut démocratique, une justice populaire, qui, l'histoire l'a prouvé, se transforme vite en justice populiste, fondamentalement dangereuse. - Enfin et surtout, il ne faut jamais oublier que le fonctionnaire, quel qu'en soit le rang, est soumis par la loi à l'obligation dite d'«obéissance hiérarchique». En conséquence, il doit toujours et en toute circonstance obéir aux ordres reçus de ses supérieurs. La légalité de ces ordres et leur opportunité restent du ressort de ceux qui les donnent. Le fonctionnaire, doit-on le savoir, ne peut désobéir qu'aux ordres manifestement illégaux et qui en même temps, sont contraires à l'intérêt général. Bien entendu, il doit aussi désobéir à l'ordre de commettre une infraction pénale. Sans respecter ces règles et principes, on ne pourra jamais dire qu'on est civilisé, et on aura honte demain, devant l'histoire et devant les générations futures de notre pays.