Par Maher KAMOUN* Les bouches étaient cousues, les voix étouffées et toute opinion discordante écrasée. Telles se manifestaient les libertés d'opinion et d'expression sous la sombre «ère nouvelle» de Ben Ali. Tout le long de cette période, seuls les «responsables» avaient droit à la parole !! Et quelle parole !! Je me suis toujours demandé pourquoi celle-ci était souvent ennuyeuse, guindée, et disons le carrément, jamais intéressante à écouter ni même à entendre. Ben Ali et ses sbires étaient spécialistes des clichés stéréotypés, ils utilisaient les mêmes tournures de phrases, et ne se hasardaient jamais à dire la vérité ou même à tenir un langage quelque peu sincère. De la bouche d'un responsable, la sincérité, et encore plus la vérité, étaient synonymes de critiques. Or, la critique, même feutrée, était non seulement non admise mais s'apparentait tout simplement à un crime de lèse majesté. En écoutant ces «responsables», il ne fallait pas être intelligent pour comprendre qu'ils mentaient. Le pire, c'est qu'en mentant, ils le savaient eux mêmes, ceux qui les accompagnaient ou les recevaient le savaient aussi, et ceux qui faisaient semblant de les écouter, en étaient complices. Mais tous, par crainte, ou par profit applaudissaient et vénéraient, et demain sera pour eux une nouvelle journée. Quelle comédie ! Quelle mascarade ! Ça a duré pourtant vingt trois longues années. Il y avait donc de quoi suffoquer, de quoi être abrutis, de quoi mourir à petit feu. Du temps de Bourguiba, il y avait aussi beaucoup de mensonges et autant de vénérations mais il nous arrivait de percevoir dans le langage des « responsables » une certaine sincérité et souvent beaucoup de patriotisme. En tout cas, on avait toujours grand plaisir à écouter leurs discours. Ceux du «Combattant suprême» étaient particulièrement attachants ; ceux de ses lieutenants, dont beaucoup étaient respectables, retenaient aussi l'attention. La majorité du peuple, sans être toujours d'accord avec le régime, aimait «le Père de la Nation», ou du moins le respectait. Peu nombreux étaient ceux qui s'y opposaient et rares ceux qui ne pouvaient pas le supporter comme il en est aujourd'hui avec Ben Ali, qui a réussi à faire l'unanimité contre lui. Aujourd'hui, c'est bien différent, tout est radicalement inversé. Ce n'est plus le peuple qui se voit obligé d'écouter ses «responsables», ce sont ces derniers qui sont amenés à écouter leur peuple. Mais le problème, c'est que ce peuple n'a pas encore élu des représentants pouvant parler légitimement en son nom. Alors, en attendant, c'est l'anarchie. ! Tout le monde veut parler, ceux qui savent et ceux qui, sans le savoir, ne savent pas encore…Ils veulent tous s'exprimer. Jusque là c'est légitime. Mais ce qui n'est pas normal, c'est qu'ils parlent tous en même temps et génèrent par là une cacophonie incompréhensible. En fait, ceci n'est pas grave et se corrigera avec le temps. Ce qui par contre serait difficile à corriger, c'est l'agressivité exagérée dont ils font souvent preuve et leur tendance à ne pas respecter les règles élémentaires du dialogue, à ne pas respecter l'autre, à ne pas accepter son opinion, à avoir tendance à l'insulter, à le maltraiter, et comme cela s'est passé il y a quelques jours à Sousse, à passer à la violence physique…quel dommage ! Parmi ceux qui s'excitent ainsi, et veulent s'accaparer la parole, certains auraient dû, tout simplement avoir honte de se montrer en public. Hier, ils étaient les premiers à défendre, corps et âme, l'ancien régime et aujourd'hui ils ont le culot de se présenter comme défenseurs de la révolution. «Si tu n'a pas de pudeur, dit un proverbe arabe, agit selon ton bon vouloir. L'objectif inavoué de ces opportunistes est évidemment de faire étouffer la vraie voix du peuple. Que ce peuple les démente, et que le bon Dieu fasse que cette voix ne soit plus jamais étouffée.