Mes amis qui ne sont pas économistes, me demandent souvent de leur expliquer la situation budgétaire de notre économie. Ils lisent et écoutent mais ne parviennent pas toujours à saisir ce qu'on leur raconte, que ce soit à cause d'un langage économique trop abscons ou, au contraire, d'une vision trop simpliste de la question. Essayons donc de faire preuve d'un peu de pédagogie. Ces derniers temps, de nombreuses voix se sont élevées, mettant en garde le gouvernement en place contre une aggravation du déficit budgétaire. Selon eux, notre déficit budgétaire pourrait atteindre 5% du PIB, cette année, après avoir évolué autour de 3% en moyenne sur les cinq dernières années. Un tel niveau justifie-t-il ces cris d'orfraies ? La réponse dépend de la nature même du déficit. Trop de fois, la gestion de l'Etat s'oppose à celle, abusivement qualifiée de «bon père de famille». Dans ce cas, tout déficit sera considéré comme un mal absolu. Rappelons d'abord que le solde public, c'est-à-dire l'écart entre les recettes et les dépenses publiques se détériore lorsque le rythme de croissance ralentit, les dépenses publiques tendant à s'accélérer et les recettes publiques ralentissant mécaniquement. Il va donc sans dire que la dégradation de la situation budgétaire de notre pays cette année n'est autre que la conséquence temporaire d'une conjoncture déprimée et du coût budgétaire de la révolution. Elle ne reflète, du moins à court terme, aucun signe de dérapage structurel. De plus, le niveau actuel du déficit est loin d'être exceptionnel. Il a déjà été observé dans le passé. Un déficit de 5% ou même plus, reste parfaitement supportable dans un contexte de croissance faible. Ce niveau semble encore moins alarmant, si on le compare avec le niveau atteint par les grandes nations (10% au Etats-Unis, 14,4% en Grande Bretagne, 8,4% en France). Faut-il alors, comme actuellement, retenir un seuil de déficit faible ou faut-il retenir un "seuil d'exceptionnalité" ? Nul n'ignore, aujourd'hui, que notre économie est gravement touchée, et a incontestablement besoin de stimulus budgétaires en plus d'une relance monétaire. C'est le but même d'une politique économique que d'être contra-cyclique, c'est-à-dire tenter de limiter, puis inverser la tendance en cours. Dans des circonstances exceptionnelles, il faut savoir mener des politiques exceptionnelles. C'est donc le moment de s'affranchir de la discipline et/ou de l'orthodoxie budgétaire pour mener une gestion budgétaire active et contra-cyclique. Celle-ci se mesure par la volonté des autorités de laisser jouer pleinement les stabilisateurs automatiques qui conduisent à un creusement du déficit par la baisse des impôts ou l'accroissement des dépenses en période de récession et à une amélioration des finances publiques en période de reprise. L'idée des stabilisateurs automatiques qui fait référence à l'illustre économiste Keynes, paraît aujourd'hui séduisante. L'hypothèse est que l'économie est cyclique autour d'une croissance tendancielle (4,5% l'an en moyenne pour la Tunisie). Lorsque la croissance est au-dessus du potentiel, les recettes publiques sont alors supérieures, et on laisse s'accumuler des excédents budgétaires. Lorsque la croissance est faible, les recettes augmentent peu. On laisse le déficit budgétaire se creuser et on l'accroît, même en sachant que l'équilibre sera rétabli lorsque l'activité économique aura à nouveau dépassé son niveau potentiel. Autrement dit, le déficit doit être ajusté au cycle économique et la règle d'or qui permet de supporter un déficit budgétaire est une politique budgétaire contra-cyclique, y compris en bonne période, ce qui est souvent politiquement difficile à mener. Il est donc raisonnable, qu'afin de contrecarrer le ralentissement de notre économie, le gouvernement en place soit tenté de mener une politique de relance budgétaire en augmentant les dépenses et par ricochet le déficit budgétaire. Parce qu'au moment où chaque composant de la demande privée s'écroulait, la hausse des dépenses publiques et les baisses d'impôts pouvaient et peuvent arrêter l'hémorragie de notre économie et créer la base d'un redémarrage. Comme le montre le graphique ci-dessous — qui retrace l'évolution du déficit budgétaire et l'output gap (écart de la production par rapport à la tendance) —notre politique budgétaire n'a pas été toujours contra-cyclique et il est temps qu'elle le devienne. Le pragmatisme ne signifie donc pas de se fixer comme limite un niveau de déficit de 3% qui est une limite de ces dernières années mais plutôt de prôner une politique budgétaire contra-cyclique. Celle-ci permet d'amortir les fluctuations de l'activité, — à l'origine d'inefficacités économiques et de coûts sociaux—. En tout état de cause, il y a un consensus chez les économistes pour éviter les politiques pro-cycliques. En règle générale, et pour la Tunisie en particulier, même si les marges de manœuvre dans la conduite de la politique budgétaire sont déterminées par l'économie politique, il convient absolument de se concentrer sur les objectifs budgétaires qui sont : (1) d'éviter de casser la reprise par une rigueur à contretemps, (2) d'éviter de perdre le contrôle du déficit, (3) enfin dans une optique de moyen terme, de diminuer une dépense publique anormalement élevée et parvenir un jour à l'excédent budgétaire pour ne pas entrer dans une spirale d'endettement.