Par Abdelhamid GMATI Il y a une nouvelle mode en Tunisie : les sit-in, les manifestations, les revendications. On a l'impression que c'est devenu une raison d'être : «Je manifeste, donc je suis». Comme il faut être révolutionnaire, sinon on sera accusé d'être de «l'ancien ordre», on dira que c'est légitime. Aux autorités et aux forces politiques (qui ne se manifestent guère) d'être à l'écoute et de se mobiliser pour trouver des solutions. Mais il y a des dépassements, de la surenchère et de la violence. Restons avec ceux qui sont de bonne foi, les laissés-pour-compte, ceux qui ont été exclus, marginalisés, ignorés, ceux qui ont payé le plus lourd tribut à la révolution, qui, en définitive, est leur œuvre. Ils ont crié leur ras-le-bol et voient la révolution comme une panacée. Chacun la regarde à sa manière, et utilise ses slogans, sans trop s'attarder sur leurs significations, ni à qui ils les adressent. Les émigrants vers Lampedusa n'ont-ils pas signifié «Lampedusa est libre et les Italiens dehors» ? (Le Premier ministre dixit). Mais il ne faut pas croire que cela finit toujours dans la violence et l'incompréhension. Voici quelques cas assez significatifs. Tous réels. — Un gouverneur, fraîchement nommé, était gonflé à bloc, se promettant de tout faire pour aider les citoyens de sa région. Il commença par les écouter et comprendre leurs problèmes, leurs aspirations et leurs doléances. Il recevait tous ceux qui voulaient le voir. Et il s'évertuait à leur donner satisfaction ou, tout au moins, à atténuer leurs problèmes et leurs angoisses. La plupart souffraient du chômage et il essayait de parer au plus pressé. Une dame, d'un certain âge, vint solliciter de l'emploi pour ses deux jeunes filles. Elle lui soumit des certificats de scolarité attestant qu'elles étaient d'un niveau universitaire. Le gouverneur lui promit de placer rapidement l'aînée, la priant d'attendre un peu pour la seconde, le gouvernement s'étant engagé à créer des emplois dans la région. La dame le remercia et s'en alla satisfaite. Quelques jours plus tard, elle revint chez le gouverneur et le remercia, son ainée ayant été embauchée par une entreprise de la région. Puis il aborda le cas de sa seconde fille. Le gouverneur lui rappela qu'elle devait attendre un peu. La dame s'enquit alors: — «M. le gouverneur, j'ai appris que vous êtes veuf depuis quelques mois ; mes sincères condoléances». Le gouverneur la remercia ayant apprécié cette marque de sympathie et expliqua qu'il avait perdu son épouse, victime d'un accident. La dame compatit et lui dit : — «Puisque vous êtes libre, épousez ma fille, cela résoudra nos problèmes !» L'histoire ne dit pas ce que fit le gouverneur mais d'aucuns assurent qu'il ferma son bureau, remit les clefs au premier délégué et quitta la région sans demander son reste. — Un autre gouverneur, dans une autre ville, aussi déterminé à être efficace que le premier. On vint lui dire qu'il y avait un sit-in devant le siège du gouvernorat. Il en demanda la raison et on lui répondit que les manifestants voulaient obtenir des autorisations de taxis; ils avaient déposé des dossiers depuis plusieurs mois sans avoir de réponse. Le gouverneur chargea ses collaborateurs de vérifier si leurs dossiers étaient complets et satisfaisaient aux critères fixés par la loi. Dans l'affirmative, il fallait leur octroyer les autorisations requises et leur permettre de travailler. Le sit-in fut levé. Mais deux jours plus tard, un autre sit-in vint s'installer. Cette fois-ci, il était le fait des taxistes qui venaient protester contre la prolifération des taxis. Le gouverneur alla, alors, à la rencontre des manifestants avec l'intention d'écouter leurs doléances et de les tranquilliser. Sur ce, toute une foule déboucha sur la place, avec bendirs, tabbals, zokras et chants : les nouveaux taxistes venaient fêter leurs autorisations et remercier le gouverneur. Celui-ci eut des sueurs froides, craignant un affrontement entre les deux groupes. Mais, non ! Après quelques moments de discussions et de clarifications, les deux groupes s'en allèrent chantant et dansant à l'unisson. Un troisième gouverneur d'une autre région eut à résoudre un sit-in. Motif : des demandes d'emplois de jeunes et de moins jeunes au chômage depuis des mois. Le gouverneur alla à leur rencontre et commença à discuter avec eux. Au bout d'un certain temps, il leur demanda s'ils avaient mangé quelque chose. La réponse fut négative, tous les manifestants ayant faim. Il envoya chercher des gâteaux qui furent distribués à tous les présents. Après s'être un peu repus et avoir sucré le bec, ils discutèrent encore un peu et levèrent le sit-in dans le calme. Probablement jusqu'au prochain. Comme quoi, il faudrait chercher ailleurs les fauteurs de troubles.