Le cycle court des rencontres artistiques "Courtes mais bonnes" s'est poursuivi à El Teatro sur trois jours pour se clôturer avant-hier, samedi 30 avril. Trois soirées durant lesquelles le public a pu découvrir les créations de 11 artistes (sur 13 programmés), amenant chacun une réflexion sur l'actualité nationale. Nous nous y sommes rendus le deuxième jour et ce n'est pas sans désagrément que nous avons quand même pu profiter de ces courtes expressions, car dans l'"absurdistan" de l'administration culturelle tout est relatif…Par exemple, une invitation valable pour deux personnes en soustrait une selon le métier de l'invité. Par exemple, si on est journaliste, on a droit à une invitation pour deux, mais l'on n'a pas le droit d'être accompagné (ça relève du casse-tête chinois)... Dans le pays de l'absurdistan, un proche parent de l'artiste doit payer son soutien... Dans le pays de l'absurdistan on ne fixe pas de tarif spécial pour les étudiants (8DT, ce n'est vraiment pas donné!)... Bien des désagréments qui viennent, malheureusement, nous rappeler que la culture ne s'offre pas et que cette administration est là, avec ses manières pas toujours subtiles (des fois même absurdes), pour nous le rappeler... Mais ne nous éloignons pas de l'essentiel et parlons plutôt art… Le coup d'envoi de la soirée est donné par «At Tension» de Macha (6mn) : une performance alliant danse et expression plastique où le corps se fait silhouette et ombre que l'on aperçoit à travers la transparence graphique d'un paravent. Le corps se fait matière et forme. Soumaya Bouallagui nous offre une lecture scénique du poème «Taqrir sirri jiddan min biled kamâ'istan» (rapport ultrasecret sur le pays de l'oppression) de Nizar Kabani. Son «Kamâ'istan» nous parle de ces corps qui, sous le poids lourd d'un bloc de tissu (telle la carrure d'une poupée russe), tentent, en invoquant tous les sens, de rompre cette rigidité immobile et se libèrent… La scène, ou plutôt la salle, est ensuite cédée à Alia Sallami, qui nous a présenté «Al Thawra» (8mn), sorte d'écho sonore de la «révolution ». Sur fond d'une berceuse revisitée, l'artiste nous livre des slogans et autres bruits et sons accouchés par la «révolution»... «Dors bébé, dors, ta mère est Leïla et ton père est Pharaon », nous fredonne cette dernière. Vient ensuite l'«Acte sans fin» (10mn) de Naoufel Azara. Assis sur un banc, deux amants (l'homme revient du front) s'effleurent sans parvenir à se toucher. Derrière eux, en arrière-plan, se tient une seconde femme. Simulacre d'être, baignant dans une obscurité que seule la flamme d'une bougie rompt, elle se fait témoin et assiste à la scène. Malheureusement, la gestuelle rigide et tendue du comédien manque de subtilité et ne répond pas à l'aspect suggestif de la scène, ni à à la délicatesse de la comédienne (femme de premier plan), gâchant ainsi l 'émotion du moment… Sans fin étaient plutôt les gesticulations de Mohamed Osman Kilani dans «Foula» (8mn). Une récurrence étouffante pour nous figurer «le cours naturel de la vie d'une fève qui vit dans le corps d'un homme»…?! Une gestuelle sans grande conviction, sans générosité, crispée (hormis les gesticulations que l'on aurait souhaité moins présentes). Le sujet sans intérêt particulier aurait pu, néanmoins, être conduit par un peu de poésie et d'imagination… «K.O. intellectuel», de Haïfa Bouattour, est un monologue sur «ces éternels insatisfaits, aux bras croisés, en attente d'une réponse…» qui nous parle, dans un texte à l'allusion intelligente, de l'opium du peuple que l'on offre sous forme de sagas et feuilletons sans fin, de l'état d'étourdissement général de ceux qui, en réponse à cela, tentent de s'évader, de s'élever, d'émerger mais qui finissent par se faire rattraper par les chasseurs de rêves. Le monologue se clôt par un montage rapide d'images chocs de l'actualité. Tout cela est bien beau, mais pourquoi ne pas s'en tenir à l'essentiel : pourquoi les déplacements incessants sur scène, pourquoi ces va-et-vient illégitimes et qui n'ajoutent rien à l'acuité du texte? Pourquoi ces fioritures du geste que l'on a tendance (c'est une attitude généralisée) à greffer au texte. Il est temps de s'en tenir à l'essentiel, d'épurer, car la scène n'est pas que geste. Hatem Karoui, de son côté, dans «Révolution», nous a livré un texte drôle, aux allusions parfois faciles mais tout de même amusantes, sur ces « hommes politiques » de la dernière heure qui s'érigent en donneurs de leçons, protecteurs de la révolution. Faten Rouissi fait dans l'allégorie avec son grand nettoyage de printemps «Ghaslat arbaatach (14)». Mais les allusions sont ici trop premier degré, voire relevant de l'illustration. Les deux dernières représentations sont pour le moins les plus intéressantes au niveau du traitement. Hatem Belhadj avec «Aie Phone» allie réalité technologique et actualité. Un grand écran d'un téléphone portable est placé au milieu de la scène, filtrant les communications de Amal qui tente, en vain, de réunir des amis pour fêter la révolution. Tous les profils y passent, de l'amoureuse qui fait de la révolution le terrain de ses amours, au pseudo-cyberactiviste qui en fait son capital séduction, en passant par le libéral reconverti en révolutionnaire et qui en fait son nouveau capital… Tous y passent avec un texte drôle et frais. A la fin, «Amal» couvre son écran du drapeau national en hommage à cette «révolution». Beaucoup plus poétique est «Street», l'œuvre de Moez Gdiri, qui clôt la soirée. Dans une ruelle, divers personnages et profils, microcosme d'une société, se croisent et communiquent sans paroles. Sortes de mimes qui se donnent la réplique par le geste. Vers la fin, ces spécimens se regroupent et s'insurgent mais sont vite arrêtés, dans leur élan, par le sinistre homme en noir (habillé à la Matrix)… à méditer. Deux exercices qui ont prouvé, sans fioritures scéniques, qu'en s'en tenant à l'essentiel, l'on peut ramener de la poésie et de l'humour.