Pour la clôture de l'exposition de l'artiste espagnol, Miquel Wert, à l'espace Aire Libre d'El Teatro, une table ronde a été organisée, vendredi dernier, autour du thème : «Propositions alternatives pour un art actuel». L'exposition et la table ronde font partie de l'activité de l'association JISER Reflexions Méditerrànies dans sa vocation «d'établir des ponts solides entre associations et jeunes artistes visuels des deux rives». Créée en 2004, cette association chapeaute, pour l'année en cours, un projet qui a permis à Miquel Wert de bénéficier d'une résidence d'artiste de deux mois en Tunisie et qui permettra à un jeune artiste tunisien de séjourner à son tour à Barcelone. D'ailleurs, ce sont les œuvres issues de cette résidence qu'a exposé Miquel Wert à l'espace Aire Libre d'El Teatro. Le thème de la rencontre a été divisé en deux tables rondes : l'une sur «la gestion culturelle et commissariat de projets d'art contemporain» et l'autre sur «La création artistique et développement d'initiatives collectives», avec des invités tunisiens (Amor Ghedamsi, Nadia Jellasi et Meriem Bouderbela) et espagnols (Maribel Perpiñá, Toni Serra) qui ont parlé de la situation dans les deux pays à travers leurs expériences et leurs observations, tout en essayant d'avancer des réponses et des propositions pouvant aider les jeunes à se frayer leur chemin. Le pont qui s'établit entre les deux rives, notamment entre Tunis et Barcelone, part de la particularité de chaque région pour embrasser le partenariat et la collaboration, alliant le travail artistique et la réflexion. Cela dit, Barcelone et Tunis présentent des réalités très différentes en matière de création et de dynamique artistiques. La ville espagnole s'est très tôt lancée dans des démarches où de jeunes artistes se sont rassemblés pour faire bouger les choses et sortir des canaux classiques, dominés par la bourgeoisie, en créant des associations et des collectivités dont la ville regorge, en plus des musées et des galeries. Le cas de Maribel Perpiñá qui est venue exposer pour l'objet de la table ronde, en témoigne. Cette artiste vidéaste a également une riche expérience en gestion culturelle. Après la chute du mur, elle s'est installée à Berlin où elle a pu obtenir, grâce à l'ambassade d'Espagne, un bâtiment abandonné pour y travailler. Elle s'est ensuite dirigée vers un petit village au Portugal où elle a convaincu les commerçants d'exposer les vidéos dans leurs vitrines, avant de prendre pied à Barcelone et de créer une association culturelle, LaPinta, qui œuvre avec le même principe. Un réseau s'est ainsi créé, liant les différents intervenants, artistes, commerçants et sponsors, et s'est étendu en Espagne, en Allemagne et en France. L'action de LaPinta a aussi permis la rencontre des artistes, des étudiants de beaux-arts et des commissaires culturels pour donner de la visibilité aux travaux des uns et initier les autres à la pratique du métier dans son aspect managerial, en complément au côté théorique enseigné à l'école. «On leur apprend à chercher des subventions et à créer à leur tour des réseaux, en axant sur trois étapes : la pré-production, la production et la post-production », explique Maribel Perpiñá. L'activisme des associations de Barcelone, pour que l'art visuel soit reconnu comme profession, a débouché sur l'édition d'un statut que les artistes eux-mêmes ont créé, une sorte de «code de bonnes pratiques» reconnu par l'Etat pour défendre leurs droits. Une situation à améliorer Ces artistes réunis ont également édité un livre qui explique le rôle du commissaire à travers les témoignages de professionnels. Selon les invitées tunisiennes, Meriem Bouderbela et Nadia Jellasi, le métier de commissaire culturel est encore en balbutiements, voire difficile à définir dans notre pays. N.Jellasi a émis un certain nombre de constats personnels sur la situation de l'art contemporain et de son organisation dans nos contrées. Bien qu'une dynamique artistique soit déjà en place grâce aux créations et expositions de jeunes et moins jeunes, l'art contemporain se trouve dans une situation telle que le public et le privé peinent à collaborer. Les acteurs dans le domaine des arts visuels œuvrent chacun de son côté, ce qui retarde une évolution possible. Nadia Jellasi est partie du fait qu'un artiste a besoin que son art soit montré dans de bonnes conditions, qu'il en garde une trace (publications, catalogues…) et qu'il soit vendu. L'artiste offre par cette vérité les clés d'un «secteur» prospère. Pour cela, il faudrait que les espaces d'exposition publics soient exploités pendant toute l'année et qu'un suivi soit mis en place pour obtenir des statistiques permettant d'émettre des constats pertinents et des solutions adaptées. Il faudrait aussi que le secteur privé soit plus entrepreneur, qu'il prenne des risques et offre ses espaces à des artistes jeunes ou peu connus. Les galeries devraient essayer de relayer ces artistes et leur donner de la visibilité à l'étranger. Ils devraient surtout, selon N. Jellasi, travailler l'un avec l'autre et pas l'un contre l'autre. L'artiste déplore également le fait que les nouveaux quartiers comme Ennasr et les Berges du Lac ne prévoient pas des espaces d'exposition susceptibles de rapprocher le grand public de l'art. Meriem Bouderbela, artiste visuelle qui a vécu en Europe et qui s'est installée en Tunisie depuis 6 ans, avoue que dans notre pays, il y a une création prolifique et intéressante. Mais il y a toujours, dit-elle, un empêchement devant l'accomplissement de l'artiste. Elle joint sa voix aux autres intervenants pour dire qu'une amélioration est possible avec un travail de longue haleine, qui doit être initié par les artistes eux-mêmes. Ils ont, selon elle, tout à gagner en se rassemblant et en sortant de l'isolement. Ils doivent créer leurs propres codes et moyens d'expression. «Nous n'avons pas besoin de rechercher la reconnaissance chez l'autre. Commençons par nous imposer sur notre propre territoire», affirme Meriem Bouderbela.