Il est nécessaire d'inscrire le droit à l'information dans la Constitution, de réviser l'ensemble de la législation et de la réglementation en vigueur et de garantir au journaliste une protection légale. Le dernier ministre de Ben Ali chargé de la Communication parlait en février 2010 de l'importance de «favoriser l'accès du journaliste à l'information et de fournir une information exacte aux médias». Après le 14 janvier, la presse démocratique reste à construire. A l'aube de sa prise du pouvoir, Ben Ali avait ordonné aux différents départements de l'Etat de fournir tous les dossiers aux médias. Beaucoup se rappellent cette «flambée» médiatique qui, pendant un an, avait fait croire aux journalistes qu'une «nouvelle ère» de liberté était ouverte. La suite on la connaît. Aujourd'hui, Ben Ali n'est plus à la tête du système, mais la rétention de l'information est encore opérante. La source d'information refuse de collaborer par crainte d'être «taxée» d'appartenance à l'ancienne classe politique, par souci de couvrir des «relations». Liberté de presse, c'est beau, mais le journaliste n'a pas encore obtenu son droit fondamental : l'accès libre à l'information. Or, aujourd'hui, l'opinion publique attend d'être informée, de comprendre afin de participer au projet social qui implique son avenir. Elle n'a que faire des gymnastiques des tribuns politiques. Il convient de signaler que le droit d'accès à l'information publique est encore assez largement méconnu en Tunisie. Ni les professionnels des médias, ni les partis, ni les acteurs de la société civile, ni les instances académiques, ne se sont mobilisés pour revendiquer ce droit. De plus, le droit d'accès à l'information n'est pas encore reconnu et garanti en tant que tel par le législateur. Enfin la pratique administrative demeure fondée sur la non-divulgation d'informations ou de documents. Une réglementation répressive Si la Tunisie a adhéré au Pacte international relatif aux droits civils et politiques dont l'article 19 stipule que «… le droit à la liberté d'expression comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations» ; sa loi pénale sanctionne en revanche les fonctionnaires qui divulguent ou tentent de divulguer des informations professionnelles (Article 109). Le chapitre III de ce Code pénal sanctionne «la corruption, la concussion et les détournements commis par les agents publics», mais ne prévoit aucune garantie pour ceux qui prennent le risque de les dénoncer, contrairement à ce que prévoit la Convention des NU contre la corruption signée par la Tunisie. Cette convention garantit la «protection des témoins, des experts, des victimes et des personnes qui communiquent des informations». Quant au Code de la presse et le statut des journalistes professionnels, il sanctionne sévèrement les journalistes d'investigation. Il en est de même du Code du travail qui ne consacre pas le droit du journaliste à accéder aux sources de l'information. D'autre part, la loi tunisienne ne garantit pas un autre droit essentiel pour les journalistes, celui de la protection des sources de l'information. Et si le journaliste ne peut pas assurer l'anonymat à ses informateurs, il n'a que peu de chances d'obtenir des révélations importantes. Droit à inscrire dans la Constitution Le journaliste est-il aujourd'hui en mesure d'accéder, par exemple, aux archives du ministère de l'Intérieur (ou à celles qui en restent !), ou d'un autre département officiel, aux bulletins numéro 2 des différents responsables avant et après le 14 janvier ? Peut-il demander et obtenir les dossiers de gestion des départements de l'Etat, des sociétés ou des banques publiques et privées auprès, par exemple, de la Cour des comptes ? Y a-t-il moyen d'obtenir les procès-verbaux de la recherche de la vérité et de la lutte contre la corruption, la liste de tous ceux qui avaient réprimé, torturé et liquidé des citoyens avant et après le 14 janvier ? Qui veut empêcher le jugement des collaborateurs de Ben Ali? Peut-on connaître les sources de financement des partis politiques actuels? Où est allé l'argent du RCD, des associations, du sport ou des collectivités locales... Ces interrogations et bien d'autres resteront sans réponse tant que le vrai débat n'est pas lancé sur l'une des questions cruciales de la transition démocratique : le droit du journaliste d'exercer sa mission sans restriction aucune. Et pour que la presse puisse assurer sa mission de contre pouvoir face à tous les abus possibles, il est nécessaire d'inscrire le droit d'accès à l'information dans la Constitution, de réviser l'ensemble de la législation et de la réglementation en vigueur et de garantir au journaliste une protection légale. Partis politiques :revendication prioritaire Si le Syndicat national des journalistes a inscrit le droit d'accès à l'information dans son rapport annuel en 2009, sans pour autant en faire son enjeu, les partis politiques qui ont toujours stigmatisé l'absence d'information ont aujourd'hui tout intérêt à revendiquer davantage de transparence, afin de donner plus de consistance à leurs discours et programmes et de proposer des alternatives crédibles. Jusqu'à présent, aucun parti n'a posé le problème. Inscrire l'accès à l'information publique parmi leurs priorités et le revendiquer en tant que condition à tout programme de développement humain et de bonne gouvernance, voilà le débat porteur pour eux et pour l'ensemble des forces politiques et de la société civile. Etant donné le rôle essentiel que les médias sont appelés à assurer pour mettre l'information à la disposition du large public, une attention particulière devra être portée aux questions liées aux libertés de l'information et aux droits reconnus aux journalistes. Aucune avancée significative en matière de transparence ne sera réalisée sans le concours des médias nationaux, ce qui implique la mise en place d'un cadre juridique et de dispositifs institutionnels destinés à garantir un bon fonctionnement du système médiatique national. La révolution a réussi à détruire l'ordre établi, mais si l'on veut une démocratie, on doit respecter le droit de dire la vérité, toute la vérité. C'est vital pour une presse digne de ce nom et pour la crédibilité de l'Etat. Rendre effectif ce droit fondamental, comme dans 80 pays dans le monde, c'est donner une nouvelle envergure à la révolution tunisienne.