La période de transition que nous vivons actuellement est mise à profit pour multiplier les faits accomplis, actes d'une haute incivilité qui prétendent prendre l'avenir en otage et qui, dans l'indifférence de la société civile et l'impuissance des pouvoirs publics – ou leur passivité ? —, parient sur une totale impunité. Parmi ces actes, les constructions illégales de locaux de toute nature s'affichant en toute insolence, en l'absence des autorisations nécessaires, sur le domaine public, des terres classées ou des terrains d'autrui. Un tsunami que rien ne semble devoir arrêter. La commune de Carthage n'est évidemment pas épargnée par ce phénomène. A vrai dire, le viol de ce haut lieu de la mémoire tunisienne n'a pas commencé depuis peu. Il s'est toutefois amplifié, ces dernières années, avec la voracité des prédateurs de l'ancien régime pour lesquels il n'y avait aucune valeur au-dessus du profit. D'où le déclassement en leur faveur de terrains archéologiques qu'ils ont acquis pour des bouchées de pain et revendus à des prix astronomiques à des promoteurs immobiliers. Une campagne lancée, quelques semaines après le 14 janvier dernier, à l'initiative d'Abdelmajid Nabli, ancien conservateur du parc archéologique Carthage-Sidi Bou Saïd (classé patrimoine mondial de l'Humanité) a permis d'attirer l'attention du public et des autorités sur les abus perpétrés sur une terre sacrée parmi toutes et d'amener l'Administration à ouvrir un dossier, certes explosif, mais incontournable. La suspension des travaux en cours sur les parcelles loties et l'examen « au cas par cas » (ce qui veut dire quoi ?) de l'opportunité de démolition des locaux bâtis sur les terrains archéologiques. Le saccage de Carthage se poursuit avec méthode. Les constructions s'y poursuivent, y compris, semble-t-il, sur les parcelles contestées sans que les autorités locales (la municipalité), régionales (délégation et gouvernorat) ou nationales (les ministères de l'Intérieur et de la Culture) ne lèvent le petit doigt. Là ne s'arrêtent pas les dégâts. Lors même que dans le périmètre du parc (et ailleurs, dans la commune, selon un usage fort ancien) les constructions ne doivent pas dépasser le R+1 (disposition que nombre de propriétaires contournent en aménageant un entresol, ce qui n'est pas encore catastrophique) et cela afin de sauvegarder ce qui reste du paysage carthaginois, on voit depuis ces derniers mois se multiplier les R+2 et davantage encore. Comportement foncièrement égoïste et suicidaire car, dans un avenir tout à fait prévisible si les choses se poursuivent ainsi, il n'y aura plus rien à voir à Carthage hors les résidences luxueuses, à défaut d'être toujours de bon goût. Le spectre du déclassement du site de Carthage-Sidi Bou Saïd par l'Unesco en tant que patrimoine mondial a déjà été agité il y a quelques années au vu des dépassements en matière d'aménagement urbain. Aujourd'hui, la menace ne peut que se préciser si les choses se poursuivent sur leur lancée actuelle. Alors, il est de notre devoir à nous tous, Tunisiens de toutes régions et de toutes conditions, de dire : stop à la profanation de la source sacrée de notre identité, du noyau fondateur de notre nation et de notre Etat. Une pétition circule ces jours-ci pour appeler à la fin du massacre. Mais la question se pose : faut-il s'arrêter à pareilles initiatives ? Ne faudrait-il pas constituer un comité de vigilance permanent pour assurer un contrôle continu sur le terrain et qui, au besoin, pourrait se constituer en partie civile ? Du moment que la « transition » a bon dos et que les nuisances se poursuivent en l'absence de toute réaction de l'Administration, alors prenons nos affaires en main et agissons avant qu'il ne soit trop tard.