De notre envoyée spéciale Samira DAMI Outre le thème de l'enfance que nous avons déjà relevé (voir La Presse du 17 mai 2011), la compétition de la 64e édition du Festival de Cannes est marquée par une double dimension cosmique et mystique. Ce qui a été décelé dans plusieurs films dont notamment : The tree of life, de l'Américain Terrence Malick, où se sont multipliées les scènes de création du monde. Cette dimension on la retouve également dans Melancholia, du réalisateur danois Lars von Trier, de retour sur la Croisette deux ans après le tristement célèbre film Antichrist à la fois hyperviolent, déprimant et opprimant. Mais disons-le tout de go, avant de parler du film, Lars von Trier est déclaré persona non grata au Festival de Cannes pour les propos qu'il a tenus lors de la conférence de presse sur son film Melancholia. Mais place au film d'abord. Ventilé en deux parties, cet opus se focalise sur les segments de vie de deux sœurs : Justine et Claire. La première, malade et dépressive, est incapable de faire face à son mariage et d'assumer cette décision, parce que psychologiquement en proie au doute. La seconde, Claire, mariée et mère d'un petit garçon acceuille Justine chez elle dans sa grande demeure de campagne. Mais Claire, au fond, est tout aussi fragile que Justine et appréhende l'approche de la planète Melancholia qui se dirige vers la Terre. A travers ses deux personnages Lars von Trier décrit la solitude de l'homme sur terre qu'il qualifie dans l'une des répliques lancées par Justine de «mauvaise planète sur laquelle il ne faut pas se lamenter et qui ne manquera à personne». Chez Lars von Trier la dimension cosmique est certes présente mais jamais sublimée. Bien au contraire, Melancholia représente un danger pour la planète car elle provoquera la fin de l'univers. Le réalisateur filme la mélancolie qui l'habite, son mal-être ainsi que sa solitude qui sont tels qu'il désirera la destruction et la disparition de la Terre. Tous ces états d'âme provoqués par la noirceur et les tourments du monde des terriens sont filmés sur une musique mélancolique de Wagner. Melancholia se distingue par un beau filmage et une esthétique particulière : de magnifiques plans de la nature et d'intérieurs filmés en caméra portée pour la plupart. Mais, le film pèche par un certain déséquilibre, puisque la première partie consacrée au mariage de Justine est réussie, car porteuse de sens, mais la seconde partie s'étire et traîne en longueur, car rien ne se passe vraiment, le réalisateur filmant l'attente de la fin du monde. D'où le bavardage superflu des plans qui distillent l'ennui chez les festivaliers satisfaits à moitié. Ainsi Melancholia n'est pas une déception totale mais une demi-déception. Le réalisateur danois est connu pour être un provocateur, mais la provocation a tourné mal cette fois-ci, car un buzz s'est créé non pas autour du film, mais sur les propos du réalisateur lors de la conférence de presse quand une journaliste lui a posé une question sur ses origines et qu'il a répondu : «J'ai longtemps pensé que j'étais juif et j'en étais heureux, ensuite j'ai appris que j'étais Nazi… que j'étais d'une famille allemande, Hartman, ce qui n'a pas été sans me faire plaisir». Et d'ajouter : «Qu'et-ce que vous voulez que je vous dise, je comprends Hitler…». Puis embarrassé: «Je suis solidaire des juifs tous les juifs, mais Israël fait vraiment chier». Les organisateurs du festival ont appelé le réalisateur à s'expliquer et à présenter ses excuses. Ce qu'il a fait dans un communiqué de presse. Mais on ne badine pas avec ces choses-là puisque la réaction de la direction du festival a été jugée insuffisante par de nombreux professionnels, notamment français, qui, dans la soirée, ont assailli le président du festival, Gilles Jacob, demandant l'exclusion du réalisateur. Conséquence : un conseil d'administration extraordinaire a été tenu pour examiner cette possibilité. Finalement, Lars von Trier n'est pas été exclu pour ses propos jugés «inacceptables» et «intolérables», mais déclaré persona non grata. Ce qui n'exclut pas son film Melancholia de la compétition pour la Palme d'or. «C'est l'homme qui est sanctionné et non l'œuvre» a commenté Thierry Frémaux, le délégué général de la manifestation. Le réalisateur est également prié de se faire discret. Car s'il reçoit un prix il ne pourra pas venir le chercher. Le cinéaste a accepté la décision de la direction du festival de le sanctionner. Selon sa productrice Meta Foldager, «il essayait de faire de l'humour mais c'est tombé à côté». Est-ce la fin d'un rêve pour Lars von Trier : obtenir une palme bis ou un autre prix ? Est-ce la rupture totale avec Cannes‑? Est-ce que le jury sera influencé par cette décision ? Le palmarès et l'avenir nous le diront.