L'engagement des sportifs tunisiens a eu lieu dès le début du siècle. C'est précisément en 1903 que le noble art a figuré dans les annales sportives nationales qui allaient s'enrichir au fil du temps… L'Association tunisienne Al Islamia devait naître pour contrecarrer l'Association française de boxe sur le ring, les adversaires se battaient à armes égales et quand un Tunisien remportait un combat en prenant le dessus sur un Français ou métropolitain ou autres, il aiguisait le sens patriotique et prouvait que la souveraineté tunisienne pouvait être reconquise. Ainsi, Hassen Bellassira a-t-il puisé du noble art une avidité pour la victoire et une détermination à y arriver, qui ont renforcé son nationalisme et son attachement. Anecdote Hassen Bellassira dit El Karrèche était un fervent apôtre de la culture physique et de la gymnastique : une sorte d'Hercule de naissance. Hassen devait affronter en 1899 à l'âge de 17 ans, un ours réel. En effet, un Russe a mis le cap vers la Tunisie et principalement à la Place Halfaouine, pendant le mois saint de Ramadan pour exhiber le danger que représentait son animal et promettait une dizaine de sous «sourdis» à quiconque saurait lui tenir tête ! Audacieux comme il est, Hassen El Karrèche n'a pas hésité une seconde à se jeter dans la «gueule de l'ours»! Résultat : une victoire par abandon de l'animal qui s'en est sorti avec la mâchoire fracassée! Qui devait-on plaindre, la bête ou le maître? Un certain 31 juillet 1913… Nous sommes le 31 juillet 1913, une date historique pour tous les Tunisiens et particulièrement les Tunisois. Le pionnier de la boxe tunisienne, Hassen El Karrèche, va disputer son premier combat… Rappelons qu'à cette époque, la Tunisie était en effervescence, surtout que l'année 1912 avait été politiquement délicate pour le peuple tunisien. L'élite politique connut cette année-là l'exil, la prison et le bannissement. Il n'y a plus de journaux pour répercuter les grands évènements, pour dénigrer ou plutôt pour commenter librement la mauvaise politique de la Régence et surtout celle du colonisateur envers «l'indigène», l'enfant du pays, qui n'avait pratiquement pas droit à la parole. En cette année 1913, il était donc très difficile pour les sportifs tunisiens de se frayer un chemin et de se faire une place au soleil. Mais voilà que le jeune boxeur, Hassen El Karrèche, défie l'Italien Lisca, déjà professionnel du noble art, champion de Tunisie poids moyen. Personne ne pariait alors sur la victoire du jeune Tunisien. Quant à lui, il y croyait fermement et il y allait, avec courage et détermination. Ainsi arriva-t-il à décrocher la timbale. Son nom était sur toutes les lèvres, bien que lors de son premier combat contre Lisca, Hassen El Karrèche se vit disqualifié par l'arbitre M. Marchal, qui, invoquant l'irrégularité d'un coup bas qu'aurait donné El Karrèche à son adversaire, déclara Lisca vainqueur ! Cette injuste décision de la part de l'arbitre de la rencontre souleva un tollé général chez les Tunisiens et notamment les Tunisois présents, ainsi que ceux qui n'avaient pas suivi le combat, faute de moyens... La rencontre s'était déroulée dans une salle de l'avenue de Londres, emplacement sur lequel se dresse aujourd'hui un bain maure... Bien évidemment, il y avait plus de chapeaux que de chéchias et il ne faisait pas bon d'être «indigène» à cette époque où le colonisateur était maître de la cité... La boxe, canalisation de la violence et du... nationalisme! «La boxe doit son succès au drame latent qu'elle recèle et aux passions qu'elle suscite», écrit Pierre Mangioni, dans son introduction à La fabuleuse histoire de la boxe. Plus que les autres disciplines, l'une des fonctions sociales du sport est celle du «défoulement», (c'est-à-dire que ces manifestations que d'aucuns qualifient d'excessives, sinon de dégradantes, ne sont que les soupapes de sûreté qui soulagent un trop-plein d'anxiété, affirmait Mangioni). Mais ce qui a joué le plus pendant la période coloniale, c'est le phénomène de la projection de soi-même sur un boxeur et l'identification d'un individu ou d'un groupe avec un boxeur qui porte la bannière d'un pays ou d'une ville», écrivait H. Belaïd dans son livre Rawafed. Anecdote : l'avenue de Londres, devenue mondaine pour un soir de gala En effet, l'avenue de Londres, le soir du 31 juillet 1913 à l'occasion du gala pugilistique historique (Hassen El Karrèche contre Lisca), est devenue mondaine. Tout le long de l'avenue, on ne voit que de superbes carrosses avec leurs cochers d'antan, en tenue de parade. Parmi les invités d'honneur, on trouvait MM. Le Consul général d'Angleterre, André Angeleval, président de la Fédération Française du Sport et rédacteur en chef du journal La Dépêche, Canel coprésident de l'Agence «Havas», Tridon, directeur du journal La Tunisie française, Rallo, directeur du journal italien Nouvelle, Valentin, directeur du journal Tunisie Sport. Ce dernier était une personnalité importante dans le Royaume et dans toute la Régence de Tunisie, M. Ali Ben Kemla, le patron du ciné-théâtre qui se trouve à l'extrémité de l'avenue de Londres, aujourd'hui la maison «Simca», ainsi que la haute bourgeoisie beylicale de Tunis… Evidemment, la disqualification de Hassen El Karrêche devant Lisca était à l'origine d'une désapprobation, voire d'un sentiment de révolte chez tous les spectateurs musulmans, sans aucune distinction sociale… C'était le premier combat tunisien contre le colonialisme, tout un symbole. La presse française de Tunisie devait même aller jusqu'à annoncer l'interdiction de toute rencontre «mixte». Plus tard, cette décision devait être annulée pour permettre un match de revanche qui effacerait la honte du premier… Un témoignage vivant : Mahmoud Tabbène Pour connaître de plus près notre héros, pionnier de la boxe tunisienne, nous avons contacté son petit- neveu Mahmoud Tabbène El Karrèche, il est âgé de 86 ans et lui-même a été boxeur. Il a débuté sa carrière à l'âge de 13 ans en 1938/39 et a rencontré successivement Bogo-Baptista, à l'époque champion de Tunisie, puis Milardo qui tenait une salle de boxe à Bab El Jazira ainsi que Kid Albert. Mahmoud Tabbène a eu, en outre, l'occasion de contacter une foule de boxeurs tels que Khémaïes Bsili, Khémaïes Issam, Ahmed El Karrèche, Kidas et bien d'autres. Il est un fin connaisseur du noble art et sans parti pris, il est d'avis que lors du match qui a opposé son oncle Hassen El Karrèche à Lisca, une seule chose était évidente : la supériorité du premier sur le second. D'ailleurs, celle-ci est déterminée par la teneur du combat. Quand deux boxeurs sont sur le ring, il doivent se battre jusqu'à ce que l'un d'eux abandonne ou tombe K.-O. «Or, mon oncle était dans sa meilleure forme physique. Il était aussi endurant que résistant et il maîtrisait les techniques du noble art». Avec de telles qualités, Hassen El Karrèche ne pouvait que vaincre. «Conclusion : mon oncle était lésé dans ce combat historique pour des raisons politiques. Le Tunisien colonisé ne pouvait vaincre un Européen», ajoute M. Mahmoud Tabbène El Karrèche. (A suivre…)