Par Soufiane Ben Farhat Nous y voilà. La présidence de la République a enfin parlé. "Parlé", une manière de dire en fait. Elle a plutôt publié un communiqué laconique. L'agence TAP en a fait état : "Contrairement à ce qui a été diffusé par certains médias nationaux, la présidence de la République dément, dans un communiqué publié lundi, que le président de la République par intérim soit intervenu pour trancher la date des élections de l'Assemblée nationale constituante, en proposant une nouvelle date". C'est concis, certes. Mais ce n'en est pas moins obscur. Depuis toujours, la preuve d'un fait négatif est particulièrement difficile. Démentir un fait jugé négatif tout en en occultant la teneur est encore plus ardu. La négation de la négation en quelque sorte, dans sa dimension non point dialectique hégélienne, mais terre-à-terre et prosaïque. Finalement, on n'en sait pas grand chose. Ce qui ne nous a pas empêchés de broder — et spéculer — sur un non-événement. Le pire dans ce genre de situations, c'est que l'on finit par savoir lorsque cela devient inutile. Ou caduc. Ou tardif. Ou insignifiant. Communiquer, d'accord. C'est toujours salutaire. Encore faut-il que cela soit fait dans les délais. Et dans les normes. Le communiqué présidentiel d'avant-hier aurait gagné à être plus explicite. Mais, au-delà de l'événement proprement dit, c'est bien le statut de la communication présidentielle qui interpelle. Il a beau être intérimaire, M. Foued Mebazaâ institue un nouveau style. Il parle peu et se fait particulièrement discret. Son élégance légendaire y gagne en doigté. C'est-à-dire en savoir-faire et en respect obligé à la haute fonction qui est la sienne. Résumons : jusqu'ici, nous avons eu deux présidents omniprésents. Cela relevait autant de la nature du régime, présidentialiste à souhait, que des penchants et inclinaisons personnelles. Cependant, Habib Bourguiba, fondateur et premier président de la République tunisienne, était un bâtisseur doublé d'un beau et fin causeur. Lorsqu'il parlait, c'était un vrai régal. La dimension à la fois politique, didactique et même anecdotique de ses propos attachait. Cela se passait dans une Tunisie où la politique avait encore une allure boulevardière et bon enfant. C'était un grand communicateur, et même un véritable acteur lorsqu'il le fallait. Les Tunisiens s'impatientaient de ses interventions, les attendaient avec ferveur. Ses discours hebdomadaires à l'Institut de presse intégraient une très forte dramaturgie. Il a entretenu, toute sa vie durant, une relation particulière avec la radio. On achetait volontiers un transistor pour se régaler de ses discours, en plus des récitals hebdomadaires d'Oum Kelthoum et des causeries de Taha Hussein. Certains politologues tiennent les discours de Bourguiba en véritables paradigmes, des cas d'école. Et ce, quelle que soit leur signification. Parce qu'à l'instar de tout homme politique, ses propos et actions ne faisaient pas que des heureux ou invétérés partisans. Aujourd'hui, les temps ont changé. Les tons, tonalités et canaux des discours aussi. La communication non verbale gagne en signification et en ampleur. Le rôle de l'homme providentiel n'est guère plus de mise. Les légitimités charismatiques se font de plus en plus rares, voire inopérantes ou impossibles. Cela est d'autant plus vrai en Tunisie, ici et maintenant. La Révolution est l'œuvre du peuple anonyme, sans totem, idéologie ou chef. Elle a cassé la dimension pastorale du leadership. Il n'y est point question de troupeau. Il n'y a guère de place au berger, et encore moins aux moutons. En s'autoconfinant dans la discrétion, M. Foued Mebazaâ trace la voie. Hormis l'information souvent utile et succincte due à sa haute fonction, on n'en sait rien de plus. Il concède au Premier ministre intérimaire les honneurs et la marge d'initiative et de manœuvre indépendantes et nécessaires. Chacun y trouve son compte, le peuple tunisien, rassuré, sécurisé et débarrassé des affres de vieux plis en prime. Après un tel exercice, il sera difficile à quelque prochain président, quelles que soient sa couleur et sa vigueur, d'occuper abusivement les devants de la scène. Et ce n'est que justice.