De notre envoyée spéciale à Caen Mayssem MARROUKI Depuis le 14 janvier, et même avant, les bouches muselées au temps de la dictature ont vite fait d'assouvir cette envie pressante et assoiffée de liberté et de parole. Et c'est l'éclosion de talents et une étonnante libération des forces créatives qu'on a vu faire surface comme une lame de fond. Une myriade de palettes tous genres confondus, faites des mains de tout un peuple : fresques urbaines, photographies, vidéos, vignettes, textes et autres graffitis, etc. Tout le monde a ainsi expiré ce pathos, le convertissant en autant d'images et de mots. Premier jet d'images, d'abord crues et violentes, ensuite (après le 14) petit à petit, la carapace solide de l'humour et l'ironie prend le dessus, cet humour authentique qu'est le nôtre, aigre-doux mais non moins dénonciateur, non parce que la violence a cessé, mais dans une opération cathartique pour mieux dessiner la suite. Une matière qui s'est vite vu exploiter (ou des fois provoquée) par les dessinateurs et autres graphistes qui relayent à leur manière l'information. Et ils n'étaient pas que tunisiens car le monde entier en était témoin et les récents événements ont inspiré plus d'un. C'est alors que l'idée de rassembler dans une exposition ces dessins et autres graphismes, vient à Thierry Sarfis, cela trouve vite écho en Tunisie, grâce à Raouf Karray, enseignant à l'école des Beaux-arts de Sfax et Mohamed Guiga, également enseignant à l'école des Beaux-arts de Tunis. Un appel est, par la suite lancé via internent; s'ensuit une large mobilisation graphique relayée, en France, à Caen (nord-ouest) par Sarah Fouquet, enseignante à l'école supérieure d'Arts et médias (l'Esam) et commissaire de l'exposition. Et voilà qu'une première date de l'exposition «Le peuple veut», consacrée aux affiches et dessins de presse réalisés autour de la révolution tunisienne et des autres mouvements arabes qui s'ensuivirent, est fixée pour le 10 juin 2011, hébergée dans l'atrium de l'école caennaise. Organisé en partenariat avec l'Institut français de coopération à Tunis et le Centre du graphisme d'Echirolles, cet événement qui réunit les travaux de plus de 70 professionnels et étudiants de par le monde, se veut itinérant et sera donc accueilli, après Caen, à Paris, Sfax, Tunis, Sousse, Marrakech, Echirolles, Beyrouth…
Les faiseurs d'images Les cimaises de l'école s'offrent, ainsi, et ce, jusqu'au 24 juin 2011, à cet ensemble inédit signé, entre autres, par les deux graphistes R. Karray, M. Guiga et les illustrateurs Seif Neichi, Othman Selmi, Willis, Z, Kader Chelbi, Ali Nabz et Selman Arts. D'autres graphistes et illustrateurs professionnels de France, Italie, Palestine, Pologne, Jordanie, Syrie, Bolivie et Belgique sont également au rendez-vous, sans compter les étudiants de l'ésam de Caen, qui ont par ailleurs conçu les supports de communication et la scénographie de l'événement. Mais l'on note, aussi, la participation d'étudiants de l'Ecole supérieure des arts visuels de Marrakech. Ces étudiants, graphistes en devenir, ont pu ainsi contribuer à cet événement et croiser les manipulations graphiques, autour de la révolution, de leurs aînés. Une heure avant le vernissage une conférence s'est tenue à l'auditorium de l'établissement et dans laquelle on a vu intervenir les Tunisiens Karray, Guiga et S. Neichi, qui ont pu ainsi restituer en images les récents événements dans notre pays et parler de leurs travaux respectifs. Alliant les mots aux figures graphiques, en hommage aux martyrs de la révolution, ce sont les travaux (trois affiches chacun) des deux premiers qui préludent l'exposition. Le dessinateur S.Neichi, présent avec quelques dessins, nous a parlé du rôle de la caricature comme relais de l'information. Il nous a présenté également son personnage «Bakounawar» qui est devenu assez connu surtout dans la blogosphère tunisienne. Bakounawar qui veut dire en dialecte tunisien, bouquet de fleurs est un qualificatif utilisé par les jeunes dans la rue pour dire telle situation ou telle personne est bonne ou mauvaise. «J'ai choisi d'utiliser la langue locale pour être plus proche d'un public qui a perdu le contact avec la caricature et la BD , en prenant comme thème l'actualité et le quotidien du Tunisien», explique ce dernier. «La liberté d'expression, nous l'avons désirée et arraché, maintenant nous tenons à la préserver en continuant à produire et à créer et en restant vigilant car la révolution n'est pas terminée», ajoute-t-il. Les événements récents en Tunisie (et dans d'autres pays arabes) ont capté toutes les attentions dans le monde. Dès lors, et au fur et à mesure, une vague de créativité s'en est découlée et les créations ont émergé spontanément, véhiculées par l'instantanéité du Net. Les dessinateurs de presse et autres graphistes qui ont devoir de mémoire, ont vite réagi à leur tour. En Tunisie, ils ont fini par (re)voir le jour, en consacrant leurs traits à l'actualité. Une belle initiative était de collecter leurs travaux et de les rassembler dans cette exposition que l'on accueillera prochainement sous nos cieux.