Par Abdelhamid GMATI C'est la principale préoccupation des Tunisiens, à l'heure actuelle ; gouvernement provisoire, administrations régionales, entreprises nationales et étrangères, population : créer des emplois pour résorber le chômage, qui a été la première motivation de la Révolution. Et d'après ce que nous observons et ce qu'on nous annonce, tous les efforts portent sur la création d'emplois, particulièrement dans les régions démunies et concernant surtout les jeunes (ou vieux) diplômés. Tâche difficile quand on sait que le chômage est la préoccupation première de tous les gouvernements, y compris ceux des pays riches et développés. Et on est en droit de se demander : pourquoi est-ce si difficile ? La première et principale considération, chez nous en particulier, est d'ordre social. Un emploi procure des revenus qui permettent à son bénéficiaire de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Par conséquent, cela a un impact psychologique, le bénéficiaire se sent utile et intégré dans sa société. Sur cela tout le monde est d'accord. Et la situation étant telle, que tout le monde revendique, à droite et à gauche et on fait des sit-in dans les régions : "donnez-nous des emplois". Comme si le gouvernement avait des emplois tout prêts et cachés dans de coffres secrets, qu'il ne veut pas distribuer pour d'obscures raisons. Le raisonnement primaire devient donc : "Nous avons fait la révolution, contre le chômage, et nous ne voyons rien venir, donc faisons un sit-in pour vous obliger à sortir les emplois que vous cachez". Certains partisans et "indépendants" spontanés suivent. Mais soyons sérieux‑: il y a du chômage parce qu'il n'y a pas d'emplois. Et il n'y a pas d'emplois parce qu'un emploi obéit à d'autres lois que les considérations sociales. En d'autres termes, quand on pense à créer un emploi, on se pose la question : "Pour quoi faire ?". Un chef d'entreprise nous dit : "Je ne prétends jamais que je rends service en créant des emplois ; certes, j'investis, je m'endette, je mets tout mon savoir-faire et mon expérience au service de mon entreprise mais ce sont mes employés qui font le succès et la réussite de l'entreprise. Par leurs compétences et leur savoir-faire. Et je sais les récompenser et les intéresser". Quand un chef d'entreprise éprouve le besoin de créer un emploi, c'est qu'il a besoin d'une compétence capable d'accomplir une tâche précise et donc d'être productrice. Un employé, cadre, ou autre, accomplit un travail donné et est, donc, un créateur de richesse. A chaque travail, correspond une compétence. Il ne suffit pas d'avoir un diplôme, qui n'est qu'une attestation d'un certain savoir, mais ne garantit pas la compétence. Les agences de placement accomplissent cette tâche de fournir le candidat qu'il faut pour l'emploi proposé par l'entreprise. En Amérique du Nord, un recrutement pour un emploi exige, bien sûr, des diplômes et des expériences, mais cela ne compte que pour 50% ; ce qui détermine est l'entrevue à laquelle le candidat convoqué doit se soumettre et qui doit déterminer sa personnalité et sa compétence. Entre autres questions posées, celle-ci : "Vous voulez travailler pour notre compagnie, que pensez-vous y apporter, en quoi pouvez-vous l'enrichir ?" On recrute quelqu'un, non pas pour le sortir de sa misère, mais pour qu'il apporte quelque chose à l'entreprise, qu'il contribue à sa richesse, à son succès. Il ne s'agit pas de tkya, d'œuvre de bienfaisance. L'Etat et certaines de ses entreprises le font. C'est, d'ailleurs, l'un de nos gros problèmes. Illustration : une société de transport régional utilise une quinzaine de bus et aurait besoin d'une centaine d'employés (chauffeurs, receveurs, mécaniciens, administrations, etc.) pour une bonne exploitation viable. En fait, elle en emploie près de 800. Chaque gouverneur, délégué, s.g. de comité de coordination , chef de cellule du parti (RCD), responsable municipal, placent leurs amis, leurs proches et les parents de leurs amis. Résultat : la société est en déficit permanent. Et devinez qui paie ce déficit ? Et cela est valable, pratiquement, pour toutes ces sociétés, les entreprises étatiques et les administrations publiques. Et ces emplois ne sont pas productifs, au contraire. Ces temps-ci, le gouvernement provisoire, harcelé par les demandeurs d'emplois, pare au plus pressé et offre des emplois dans la fonction publique. On se pose la question : cela répond-il à un besoin ? Sont-ce des emplois rentables, productifs ou n'est-ce qu'une réaction pour faire baisser la pression des demandes ? Nos jeunes diplômés, qui brandissent leurs diplômes, comme une arme de dissuasion, se sont-ils posé la question de leurs compétences ? Il y a un tas de stages de mise à niveau et de formations professionnelles à leur intention, de manière à répondre aux demandes des entreprises. Même ceux qui présentent des projets personnels (qu'il faut encourager) sont-ils sûrs d'avoir les compétences requises pour une bonne gestion et pour la réussite de leur projet ? Présenter un projet, même "révolutionnaire", c'est bien. Le réussir, c'est mieux. Là aussi, il y a une question de mentalité : un emploi doit être productif et son bénéficiaire sera serein car indispensable. On ne se posera plus la question de l'utilité d'un emploi ou d'un projet. Et on éliminera la corruption et les passe-droits.