Par sa circulaire n° 2011-6 du 20 mai 2011, la Banque centrale de Tunisie a édicté des règles de bonne gouvernance dans les banques et établissements financiers. Il s'agit d'une initiative louable pour nous en tenir aux dires de certains experts qui expliquent les fragilités du système par la mauvaise gouvernance dans un certain nombre de banques dont, particulièrement, celles qui se sont impliquées dans le financement démesuré et suspect des groupes, des sociétés et des personnes en relation avec l'ancien régime. Mais il ne s'agit pas de la première initiative du genre. Plusieurs textes législatifs et réglementaires en matière de gouvernance ont vu le jour depuis la refonte de la réglementation bancaire en juillet 2001, en vertu de la loi 2001-65. Seulement, cette fois-ci, les intentions sont bonnes. Dans tous les cas , elles n'ont rien à voir avec la situation et les pratiques antérieures où la gouvernance était évoquée dans les discours et les textes à des fins propagandistes et pour justifier une conformité apparente aux exigences des instances mondiales. Et au stade de l'application, l'implémentation se réduit à des procédures sans suite et des institutions sans âme. Cette fois-ci, l'autorité de tutelle des banques est visiblement décidée à aller jusqu'au bout; et pour le confirmer, elle a commencé par prendre deux mesures révélatrices. La première est que le gouverneur de la Banque centrale qui était autrefois aux ordres du gouvernement n'a plus rang de ministre. De ce fait il n'est plus membre du Conseil des ministres et n'assiste plus à ses réunions. La seconde réside dans la recomposition du Conseil d'administration de l'Institut (BCT) qui comprend désormais des universitaires et des experts de renommée. Ces deux mesures sont révélatrices, car, dans leur esprit, elles consacrent le principe de l'indépendance et celui de la compétence qui comptent parmi les ingrédients de la bonne gouvernance. A ceci s'ajoute la donne contextuelle post-révolutionnaire, où le passage de l'irrationnel dans lequel sombrait le pays, au rationnel auquel s'attellent les responsables dans le gouvernement provisoire, commande de rompre définitivement avec les errements du passé ( corruption, mainmise des gens de l'ancien régime et des cadres du RCD sur la gestion, politisation de l'entreprise, marginalisation de la compétence….) Néanmoins, les perversités qui étaient à l'origine du chaos sous l'ancien régime n'étaient pas et ne sont pas seulement dues à la médiocratie . Elles sont également le fait d'une perception féodale de la gestion de l'entreprise. L'actionnaire majoritaire et l'actionnaire de référence n'ont de souci que d'être les seuls maîtres à bord , prenant unilatéralement les décisions qui intéressent la marche de l'entreprise, refusant de partager le pouvoir, et s'ils y sont acculés, ils recourront à des hommes à leur solde qui ne sont que des porte-parole. Par rapport à cet état d'esprit, la nouvelle circulaire de la BCT sera une véritable révolution, si les acteurs accepteront de jouer loyalement le jeu car la consécration dans toute la dimension des ingrédients de la bonne gouvernance ne peut pas se suffire à la publication d'un texte. Elle est plutôt tributaire du changement des mentalités chez les managers et les dirigeants. Pour l'instant, la circulaire a introduit des règles qui le favorisent. Les administrateurs ne seront plus ces messieurs et dames qui se réunissent épisodiquement pour écouter et applaudir sans trop comprendre ; le dirigeant ne sera plus cet homme ou femme qui décide en maître absolu sans partage, ni concertation. L'opacité n'a plus droit de cité dans la nouvelle gouvernance et le droit à la gestion ne sera plus associé au pouvoir de l'argent. Mais ne vendons pas la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Des administrateurs compétents plutôt que des dirigeants omnipotents Pour la première fois dans la réglementation bancaire, le régulateur impose aux banques et établissements financiers une composition du Conseil d'administration qui ne tient pas compte de la participation au capital. Le Conseil doit comprendre au moins deux membres indépendants et au plus un membre dirigeant, et ce, à côté d'un représentant des actionnaires, personnes physiques, lorsque l'établissement est coté en Bourse. Les partisans du juridisme pur et dur verront dans ces dispositions une inadéquation par rapport au principe de la «légifération», en ce sens que la composition et le fonctionnement du Conseil d'administration étant du ressort de la loi, toute modification ne peut avoir lieu que pas une loi (lire décret –loi pour le cas actuel de la Tunisie). Mais la forme importe peu au regard des visées poursuivies qui consistent à séparer le pouvoir de l'argent et celui d'administration et conférer plus de sérieux et d'efficience à la mission du Conseil d'administration. L'administrateur indépendant pourrait être cet oiseau rare qui se fait désirer S'agissant de la première visée, l'administrateur n'a pas besoin d'être propriétaire d'actions, ni de disposer d'une participation ou d'un droit de vote majoritaire pour être désigné au Conseil d'administration. Il lui suffit d'avoir les qualifications requises, l'habilitant à postuler à un mandat au Conseil. Cette exigence, suffisamment étayée dans l'article 13 de la circulaire qui insiste par ailleurs sur le fait que l'administrateur indépendant ne doit avoir aucun lien avec la banque, pourrait donner du fil à retordre aux décideurs et aux actionnaires qui auront du mal à dénicher l'oiseau rare. Car il ne s'agit pas seulement de choisir un candidat indépendant parmi les non-actionnaires mais aussi de fixer le choix sur des personnes disposant des qualifications requises. Tout d'abord, et pour la faisabilité juridique, il va falloir modifier les statuts des banques qui ne prévoient pas la faculté de désignation d'administrateurs indépendants, et c'est principalement le cas de plusieurs banques où seul le propriétaire du capital et ses représentants ont droit de siège dans les instances décisionnelles. Ensuite, les membres désignés en qualité d'administrateurs indépendants doivent être agréés par la Banque centrale, conformément à l'article 9 de la loi sur les établissements de crédit. Celle-ci peut s'y opposer, si elle trouve que le candidat nommé n'est pas suffisamment qualifié au sens de l'article 14 de la circulaire. Il est vrai que l'exigence de la qualification n'est pas spécifique à l'administrateur indépendant, elle est requise pour l'ensemble des administrateurs, ainsi qu'il est prévu dans l'article précité. Mais pour le cas de l'administrateur indépendant, elle est fondamentale car l'expertise et l'expérience sont généralement les critères au vu desquels ils sont désignés. Mieux encore, l'appréciation de la condition chez l'administrateur indépendant devait être rigoureuse, car le véritable apport pour cette catégorie d'administrateur réside dans la qualification. Mais où trouver cet oiseau rare ? Certains pensent déjà en faire un métier à l'instar de ce qui se pratique dans les pays occidentaux, où l'administrateur indépendant propose un CV reproduisant une expertise et une expérience dans les domaines bancaires et financiers. D'autres envisagent l'établissement d'une liste locale d'administrateurs indépendants reconnue par la Banque centrale. Mais d'ici-là, les banques vont devoir composer avec l'existant, et certaines peuvent profiter pour faire appel à des experts étrangers qui ne se contenteraient pas d'un SMIG. Ce sera surtout le cas des multinationales qui n'auront pas à se faire prier pour recruter ailleurs des experts en exercice dans plusieurs Conseils d'administrations d'établissements transfrontaliers, ce qui serait quelque part en contradiction avec l'article 17 de la circulaire perçu selon une interprétation extensive. Selon cet article, tout membre du Conseil d'administration d'une banque ne peut être à la fois membre du Conseil d'une autre banque.