Par Soufiane Ben Farhat Le journal allemand paraissant à Francfort est réputé pour son sérieux. Pourtant, dans l'une de ses dernières éditions dominicales, il n'y est pas allé du dos de la cuillère. Le Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung estime tout simplement que la Grèce est devenue un serf de l'Europe. Un serf réduit tout bonnement à la castration démocratique : "Cela fait un an que la Grèce n'a plus d'autonomie politique. La liberté d'Athènes se limite à choisir lequel de ses ports – celui du Pirée ou celui de Thessalonique – vendre en premier. Le dilemme du gouvernement consiste à décider s'il préfère réduire les salaires des fonctionnaires de 10% et leurs pensions de retraite de 20% ou bien l'inverse. Le mieux étant naturellement de faire les deux. "Le Bundestag dicte sa loi à la Grèce", titraient récemment les journaux. A croire que le pays serait devenu un "protectorat" allemand (d'après le ministre allemand de l'Economie Rainer Brüderle). "Comme au Moyen Age, la Grèce a échangé sa liberté pour de l'argent et est devenue un serf de l'Europe", explique Vaubel. Ce pays où est née la démocratie, a vendu sa liberté à de prétendus sauveteurs endossant le rôle d'administrateurs d'insolvabilité. L'Union de la solidarité passe par une castration démocratique. Du côté des donneurs, ces milliards de crédit à taux faible s'apparentent à des pots-de-vin. C'est le prix que l'UE doit payer pour épargner les banques françaises et allemandes…Les Européens honnêtes sont devenus une bande de voleurs et de maîtres-chanteurs". Les mots sont durs, crus. Mais ils ne semblent pas pires que la réalité triviale. Les Etats ont, eux aussi, leurs calculs de boutiquiers. Le monde de la haute finance internationale est un monde de prédateurs et de vautours de haut vol. Les pays qui s'y soumettent en désespoir de cause risquent gros. Le couteau sous la gorge, ils doivent subir les diktats des puissants du jour. Il est sans nul doute nécessaire de le rappeler sous nos cieux. Le débat sur la dette internationale, son opportunité et son ampleur est vicié. Cela vire par moments au dialogue de sourds. Des considérations tantôt moralisatrices tantôt exclusivement pragmatiques y président. Pourtant, la dette s'inscrit de plain-pied dans la géostratégie. Les rapports de force internationaux en fixent les enjeux, l'étendue et les contours. "La France n'a pas d'amis, elle n'a que des intérêts" a dit un jour le général de Gaulle. On peut en dire autant de tous les acteurs de l'économie-monde. Et les Etats demeurent, jusqu'à nouvel ordre, la pierre angulaire du système international et de l'économie mondialisée. A preuve, le FMI et la Banque mondiale sont toujours soumis à la volonté des pays les plus puissants de la planète. Les pays du Sud et émergents y amorcent depuis peu une timide réforme de la gouvernance. Cependant, autant que la France de de Gaulle, le FMI et la Banque mondiale n'ont pas d'amis, mais des intérêts. Les pactes d'intégration régionaux ne sont guère en reste. Témoin, l'Union européenne où les principes de solidarité ont été sérieusement mis à mal à la faveur de la crise grecque. Ce fut –et c'est encore- la curée. Certains pays européens ont même enjoint haut et fort à la Grèce de quitter manu militari l'enceinte européenne. D'autres lui ont conseillé de vendre ses îles. Pays d'Aristote, de Platon et de Socrate? La Grèce, berceau de la civilisation européenne, de l'Agora et de la démocratie ? Comme jadis il fallait des esclaves pour les hommes libres, aujourd'hui le monde libre réclame des servitudes humiliantes. Ici et ailleurs, on est prévenu. Toute démarche visant à quelque sauvetage moyennant le recours massif à la dette doit être mûrement réfléchie. Au bout des offres, si généreuses soient-elles de prime abord, il ya les fourches caudines, les servitudes, les carcans. Les sauveteurs s'emparent en premier de la liberté. Le spectre du protectorat guette, menaçant. Autant d'éléments qui équivalent à une castration démocratique en bonne et due forme.