Par Habib CHEKILI* La révolution tunisienne du 14 janvier 2011 nous a débarrassés d'une oppressante et ruineuse dictature, heureusement pour le peuple tunisien qui s'incline devant ses jeunes martyrs qui ont payé de leur vie pour nous offrir la liberté. Quel usage avons-nous fait de cette liberté ? Importante question ! car, en fait, nous n'avons pas tellement connu la pratique de la liberté. En effet, au cours de notre proche histoire contemporaine, nous sommes passés par la période coloniale, avec très peu de liberté. Notre révolution de 1952 a permis à Bourguiba d'accomplir la décolonisation et de créer un Etat tunisien fortement centralisé à régime de gouvernance personnelle, au détriment de la liberté des citoyens.Enfin, le coup d'Etat de Ben Ali de 1987 nous a introduits dans un régime carrément dictatorial. Heureusement, notre décolonisation a été accompagnée d'un important effort de scolarisation, qui nous vaut le privilège d'avoir, aujourd'hui, une société valablement instruite, ce qui devrait nous habiliter à assumer convenablement notre qualité de citoyens libres. Néanmoins, la malheureuse quasi-absence d'un cadre de vie associative, et l'intolérance de tout esprit de contestation ou d'opposition, sous le régime colonial, bourguibien et surtout benaliste, ont privé les Tunisiens d'un bon cadre d'écoles d'apprentissage et de pratique de la liberté et de la démocratie. Néanmoins, nous ne souffrons pas seulement d'insuffisance d'initiation et de pratique démocratique. Plus grave, encore, nous sommes menacés par les ennemis de la liberté qui craignent celle-ci et la combattent pour servir leurs intérêts ou leurs clans . Les bénéficiaires du régime dictatorial déchu de Ben Ali, qui se sont outrageusement et injustement enrichis en appauvrissant notre pays, sont aux aguets et sabotent notre révolution. Notre gouvernement provisoire fait de son mieux pour les maîtriser dans les limites de ses moyens. Mais ils ne sont pas les seuls à créer des soucis à notre jeune démocratie ! Les intégristes et extrémistes religieux ne veulent pas d'une société libre, affranchie, démocratique, majeure, rationnelle, responsable, autodéterminante. Ils veulent une société soumise à leurs dogmes et à leurs convictions salafistes, regardant en arrière, fanatique et rétrograde. Certains islamistes nous promettent un régime inspiré du gouvernement actuel turc. Mais il y a une grande différence entre les promesses et la réalité. La Turquie a une longue histoire démocratique et un niveau de modernité et de pratique de la laïcité qui sont incompatibles avec les pratiques de nos islamistes. Si nous avons un jour le malheur d'être gouvernés par les islamistes, ce sera la fin de la culture, de l'art, de la modernité, de l'épanouissement, du progrès social, de la joie de vivre et de la liberté. En effet, même s'ils se montrent adeptes de la modernité, comme probablement certains le seraient en fait, la majorité des islamistes veut le pouvoir absolu, de droit divin, avec diktat, indiscutable, parce qu'émanant d'Allah, à travers leurs personnes, de type iranien ou afghan ou similaire, ou les monarchies historiques de droit divin. Les événements que nous vivons fréquemment avec des agressions intégristes contre des lieux et personnes du monde de l'art et de la libre expression, sont révélateurs de leur dangerosité de nous rétrograder dans l'obscurantisme. De nos jours, nous sommes en situation de fragilité, avec un gouvernement provisoire qui fait de son mieux pour avancer dans une voie démocratique, mais dont l'action est entravée par une multitude de doléances et de revendications et surtout par des oppositions d'intérêts et d'intégristes. En période post-révolutionnaire où les ennemis de la liberté retrouvée peuvent être de l'intérieur et de l'extérieur, la démocratie est souvent impuissante car elle n'a pas les mêmes armes que ses adversaires qui peuvent pratiquer le terrorisme et les coups bas, alors qu'elle pratique la légalité et la justice, ce qui peut la mettre en danger de mort. Alors, quelle solution pour protéger notre jeune démocratie contre ses prédateurs ? Les exemples de démocraties qui ont péri par manque de protection jalonnent l'histoire, autant que des organismes internationaux comme la Société des Nations qui a périclité entre les deux guerres mondiales pour défaut d'organe de sanction. Je pense que la situation de notre pays est préoccupante et nécessite l'appui d'un organisme de force pour la protéger contre ses ennemis et notamment les islamistes intégristes qui sont en train de faire reculer son économie par leurs interventions agressives contre les investisseurs locaux et étrangers, et contre le tourisme. Notre vaillante armée, qui a toujours été loyale et qui s'est rangée du côté du peuple tunisien, contre le dictateur aux ordres duquel elle a désobéi, est le meilleur garant de l'intégrité des pouvoirs publics et du salut de notre révolution. Nous n'avons rien à craindre de notre jeunesse militaire. Faisons-lui confiance pour assurer notre réussite, pour donner un appui musclé aux autorités gouvernementales qui nous dirigent vers la mise en place des institutions démocratiques. Aux politiciens revient la charge du choix des modalités de cette protection, mais le plus tôt serait le mieux, surtout que la route est encore longue, avec les nombreux partis en compétition, les divers courants, pour élire une Assemblée Constituante, qui doit élaborer une constitution, mais vraisemblablement pas légiférer, et puis attendre les élections législatives et les élections présidentielles. Au lieu de suspendre la Constitution de 1959, un simple nettoyage de celle-ci nous aurait fait gagner un temps précieux, en nous permettant de passer directement et immédiatement à des élections législatives et présidentielles et résoudre ainsi l'épineux problème de la légitimité.