Noam Chomsky a écrit : « si l'on ne croit pas à la liberté d'expression pour les gens qu'on méprise, on n'y croit pas du tout.» Seulement voilà, ce dicton ne fait pas ses preuves auprès d'une frange d'entre nous. Il ne s'agit pas de personnes ignorantes, illettrées ou encore non cultivées. Loin s'en faut, d'ailleurs, pour faire montre d'une incapacité incompréhensible d'accorder le droit à la liberté d'expression à autrui. Jusque là, la liberté d'expression était un rêve, désespérément escompté par la masse populaire et par ceux à qui elle devrait faire lieu d'élément foncier de travail, nous citons les journalistes. Et bien qu'elle fut citée comme un des droits fondamentaux par la Déclaration universelle des droits de l'homme, en Tunisie, elle fut bannie, révoquée en doute, considérée comme une voix qu'il faut absolument taire et quel qu'en soit le prix. Tous croyaient que c'est la règle primordiale du jeu politique dans une dictature comme celle que la Tunisie avait connue. Mais tous se sont trompés. Car voyez-vous, la liberté d'expression commence au sein de nos propres foyers et dans le vécu de nos relations avec nos familles, notamment. Et ne nous voilons pas la face, nos parents, jadis, ne nous ont pas appris la fameuse liberté d'expression. Finalité : n'est pas libre d'expression qui veut ! Voici la définition de la liberté d'expression telle que stipulée dans l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme : «Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit.» Sans doute que nombreux sont qui ne connaissent pas cette définition. Mais peu importe, ce n'est pas là l'essentiel. Essayons plutôt de comprendre. Chaque individu à sa naissance acquiert d'emblée le droit à la liberté d'expression et d'opinion. Ce n'est que plus tard qu'il pourra, bien entendu, les exercer. Toutefois, il y a là un hic : nos parents ayant grandi dans un système patriarcal trouvent souvent le plus grand mal à nous éduquer autrement. Alors ils commencent par des formules très répandues dans le genre : « fais ceci et tais-toi », « ne discute pas c'est comme ça et rien d'autre », « tu n'as pas ton mot à dire, c'est nous qui décidons ». D'accord, nous voulons bien croire que c'est du rôle des parents d'assurer et veiller à notre éducation et que nous devons obéir. Cependant pourquoi ne laisser aucune marge à la discussion et l'échange d'idées et d'opinions ? Ce phénomène s'étend jusque dans nos quartiers, nos lieux de travail, et dans les cercles d'amis et de proches. Du coup, on ne s'entend plus, on ne se comprend plus, on ne se tolère plus. Aussi ouverts d'esprit que nous pouvons prétendre l'être également, nous n'arrivons pas à nous défaire du spectre de l'emprise et de l'intolérance. Et nous déversons dans les invectives, dans les salves d'insultes et injures et, pire, dans les règlements de compte personnel. Nous nous chapardons la parole, nous faisons fin du respect des règles de la conversation, nous refusons et plus grave encore nous châtions celui qui ose s'opposer à notre opinion. On dit que toutes les couleurs et toutes les sensibilités doivent être représentées dans une société. Parce que c'est notre différence qui fait notre richesse, et ce n'est pas là un vieux dicton à fleur bleue. C'est une réalité. Penser que l'uniformité des opinions et des avis fait une force ou serait plus commode qu'une toute autre configuration, serait une forme très injuste et absurde d'une rétrogradasse. Or, si, entre autres, la Révolution Tunisienne a pu culminer c'est bien grâce et pour la liberté d'expression. Lorsque le peuple entier a crié : « Ben Ali dégage » et « Tounes Horra », il a scandé de même son droit à la liberté d'expression. Certes, et cela est une vérité indéniable, la liberté d'expression et d'opinion, c'est encore nouveau chez nous. La preuve : au moment où nous avons pris conscience que nous avons le droit de nous exprimer en toute liberté et légitimité, nous nous sommes engagés dans une sorte de lynchage, de justicier des temps modernes, et par-dessus le marché, d'honnêtes citoyens qui n'ont rien à se reprocher par le passé. Mais si nous nous trouvons face à un inconnu aussi balèze, il faut impérativement garder la tête entre les épaules et se poser des questions quant au bon usage de celui-ci. La liberté d'expression doit nous servir dans notre mission de reconstruire notre pays, de mener à bon port des politiques sociales et économiques. Nous devons commencer à tolérer, d'abord, les opinions contraires aux nôtres, essayer de les comprendre avant de les juger et de les condamner. Nous ne devons pas larguer, par monts et par vaux, notre frustration d'une oppression qui n'a fait que trop durer, sur des individus au nom de la Nation et au non de la Révolution. Le processus de la liberté d'expression et d'opinion devrait se faire en arpèges, le mot est passé. Maintenant, voyons la manière la plus appropriée et la plus en règle afin de composer ces notes défaites de toutes fuminesteries et roublardises. La liberté d'expression et d'opinion s'apprend avec le temps, nous nous ne sommes pas tenus de faire nos preuves dans l'immédiat. Soyons un peuple mûr et à la hauteur de nos réalisations. Bouazizi et tous nos martyrs ont payé de leur sang pour nous offrir cette Révolution, et cette liberté. Tâchons de leur faire honneur.