Par Taïeb YOUSFI C'est au peuple tunisien, et à lui seul, que revient le mérite d'avoir réalisé une révolution hors pair, unique en son genre dans les annales des révolutions. C'est une révolution originale et typique pour plusieurs raisons. En effet nul ne songeait qu'en s'immolant le 17 décembre 2010, près du siège du gouvernorat de Sidi Bouzid, Mohamed Bouazizi allait déclencher un soulèvement populaire sans précédent qui alla crescendo pour aboutir le 14 janvier 2011 à la fuite du président déchu, libérant ainsi notre pays du joug du despotisme et le délivrant de la mainmise du clan mafieux. Ainsi, une révolution spontanée, pacifique et sans encadrement dont le catalyseur et le meneur, une jeunesse aux mains nues, a réussi à faire sauter la chape de plomb, à balayer la clique usurpatrice et à ouvrir la porte au «printemps arabe». L'originalité et l'authenticité de la révolution tunisienne résident aussi dans son caractère purement national sans assistance ni ingérence ni interférence étrangères, aucune. Notre peuple, qui a accompli cette œuvre grandiose, est désormais maître sans partage de son destin, ce qui l'habilite à forger son avenir en toute liberté et souveraineté, loin de toute tutelle et dans le cadre d'un processus salvateur irréversible. Cela dit, la révolution de la liberté et de la dignité est riche en enseignements dont il convient de saisir le sens et la portée pour mener à bon port la transition démocratique, relever les défis et pour que rien ne soit plus jamais comme avant. Dans cet ordre d'idées, la révolution a mis à nu certaines thèses défaitistes qui prétendaient que le peuple tunisien faisait bon ménage avec la soumission et s'accommodait à la résignation et que la jeunesse tunisienne était confinée au désœuvrement et se désintéressait de la chose publique et de la politique. Au contraire, la révolution du 14 janvier a confirmé les thèses de ceux qui croyaient en la capacité des Tunisiens et des Tunisiennes à braver la terreur et à resurgir pour recouvrer leurs droits spoliés et leur dignité bafouée, partant du crédo que l'on peut tromper tout le peuple une partie du temps, une partie du peuple, tout le temps, mais non pas tout le peuple tout le temps. Maintenant que la voie de l'avenir est balisée, il est du devoir de toutes les forces politiques d'honorer leur dette d'honneur envers le peuple tunisien et d'être au diapason des exigences de cette étape cruciale. Elles sont appelées à s'élever au-dessus des surenchères, des querelles idéologiques et des calculs électoralistes, à contribuer à faire prévaloir la diversité des opinions et des approches et à enraciner la culture de concorde, condition indispensable pour franchir cette phase avec succès. Il incombe aussi aux partis politiques toutes tendances confondues, aux leaders d'opinion et aux partenaires sociaux de fructifier l'élan extraordinaire de la révolution pour que la flamme du sacrifice et du don de soi reste vivace et pour que les valeurs de citoyenneté, de labeur et d'ingéniosité retrouvent leur plein sens et se traduisent dans les faits à tous les niveaux. Il va sans dire que la situation économique de notre pays est préoccupante, en témoignent plusieurs indicateurs dont l'impact conjoncturel négatif des incertitudes nées de la transition avec un coût estimé à 5% du PIB et la révision à la baisse du taux de croissance. De même, le budget de l'Etat et la balance commerciale ont été affectés et les investissements directs étrangers ont diminué. La conjoncture s'est davantage compliquée par les répercussions de la situation en Libye évaluées à plus de 200 millions de dollars de pertes par mois. A cet effet, les partis politiques, les composantes de la société civile et toutes les forces vives sont appelées à conjuguer leurs efforts pour favoriser le climat propice au redémarrage de la machine économique et à la stimulation de la croissance, conditions sine qua non pour le maintien des équilibres économiques et sociaux, pour répondre aux besoins immédiats en termes de soutien aux régions démunies et à l'emploi et pour redonner espoir à la jeunesse. Le rétablissement du climat d'ordre et de sécurité constitue pour sa part une nécessité impérieuse pour réaliser tous les volets du programme d'urgence établi par le gouvernement, consolider les attributs de développement économique et social, sauvegarder les acquis de la révolution et mettre à profit tous les atouts que possède notre pays pour réussir la transition. Les partis politiques gagneraient en crédit, en estime et en confiance s'ils se consacraient à élucider les enjeux de cette étape qui requiert abnégation et dévouement; et s'ils clarifiaient leur modèle de société et leurs programmes économiques et sociaux, pour que les Tunisiens puissent choisir en toute sérénité et lucidité leurs représentants à l'Assemblée constituante. La modestie est quant à elle une vertu que les partis politiques doivent cultiver aujourd'hui et demain, étant donné que nul ne détient la vérité absolue et que le domaine politique obéit par définition au relativisme et aux concessions réciproques. Et il faut toujours garder dans l'esprit qu'«en politique le sommet de la gloire est proche de l'abîme et de la déchéance».