Etonnant Yamen Manaï dont le style, si on cachait le nom de l'auteur, pourrait s'apparenter à cette littérature sud-américaine, colorée, touffue, foisonnante d'images et de mythes, vibrante de sensualité et de gourmandise, drôle, explosive, et si plaisante. La sérénade d'Ibrahim Santos est un conte réaliste qui se déroule au fond d'un pays magique, dans la bonne ville de Santa Clara, née elle-même d'une légende grivoise et paillarde, et où se fait le meilleur rhum du monde. Une ville heureuse qui ignore que 20 ans auparavant, très loin d'elle, une révolution a bouleversé le pays. Et que son rhum, justement, allait attirer sur elle le regard et l'attention des nouveaux maîtres du pays. Qui, eux, jamais, au grand jamais, n'auraient pu se douter qu'on ignorait leur existence. C'est sur ce mode cocasse, mais toujours subtil, que Yamen Manaï développe son allégorie et file sa métaphore. Il annonce son propos sur la couverture : «A tous les dictateurs du monde, regardez donc défiler les heures à vos montres d'or et de diamants. Les peuples vous arracheront leurs rêves, les peuples sonneront votre glas». C'est allègrement que l'auteur mène cette parodie de ces dictatures qui durent. Et si la sortie du livre était programmée dès avant le 14 janvier, avec une inquiétude certaine, il faut reconnaître que les circonstances lui ont été favorables. «Je ne sais quel accueil aurait eu ce livre si le pays était encore aux mains de Bonnie and Clyde. Mes angoisses ont été réduites en cendres par le sacrifice d'un homme, puis balayées par la révolte populaire». Mais il continue néanmoins, mi-figue, mi-raisin : «Que c'était magnifique! Pourvu que cette montagne de dignité n'accouche pas d'une nouvelle souris manipulatrice». Un livre à lire avec délice.