C'est une demande du New Yorker auquel Jim Holt collabore depuis quelques années qui est à l'origine de l'existence de ce livre. On chargea l'auteur d'écrire un numéro spécial consacré à l'humour, une histoire des blagues et de leurs collectionneurs. Il accepta avec joie pensant trouver facilement un quelconque ouvrage où il pourra puiser les ingrédients nécessaires à cette mission, les doigts dans le nez. Il déchanta vite : un tel ouvrage n'existait pas. Qu'à cela ne tienne ! Si les scientifiques ont occulté cet immense champ de culture, il va combler ce fossé en écrivant lui-même un livre consacré à ce thème. Tâche qui s'avèrera ingrate, ardue mais fort amusante. Au fil de ses recherches, il amassa d'innombrables réflexions littéraires, psychologiques et philosophiques sur les blagues et autant des spécimens plus ou moins douloureux du genre. Le premier parmi ces derniers est G. Legman avec son "Psychanalyse de l'humour érotique". C'est un ensemble de milliers d'histoires drôles accompagnées d'un commentaire pseudo-freudien ainsi que d'illustrations. Vers l'hiver 1999 le New York Times écrivit "cet érudit autodidacte spécialiste des blagues obscènes", Gershon Legman s'est éteint à l'âge de quatre-vingt-un ans dans le sud de la France où il vivait en exil volontaire des Etats-Unis son pays d'origine. Les blagues relèvent du folklore, aux côtés des mythes, des proverbes, des légendes et autres superstitions. Une large part d'entre elles touchent au sexe et à la scatologie. Une étude des 13 8041 blagues recensées à New York en 1963 révèle que 17 pour cent d'entre elles touchaient au sexe et 11 pour cent aux noirs. Les blagues sont une constance culturelle, il s'agit d'une forme d'humour qui fluctue avec la montée et la chute des civilisations. La blague classique évoque la rapidité de la flèche : "J'était si laid à ma naissance que la sage-femme a giflé ma mère". A Athènes, à l'époque de Démosthène, existait une troupe de comédiens appelée le Groupe des soixante qui se réunissait au temple d'Héraclès pour échanger des histoires drôles : L'on prétend qu'elles ont été consignées par écrit mais cet ouvrage a été perdu. Idem chez les Romains. Melissus, l'un des maîtres préférés de l'empereur Auguste, avait compilé une anthologie de cent cinquante histoires drôles. Malgré cela un seul et unique recueil de blagues a traversé l'Antiquité. Il s'agit du Philogelos, littéralement "Celui qui aime rire", un ensemble, écrit en grec probablement constitué au IV ou au Ve siècle avant JC. Un ensemble de 264 blagues courtes et piquantes "le coiffeur bavard demande : comment voulez-vous que je vous les coupe ? - En silence !". Elles reposent sur une galerie de personnages types : l'irrogne, l'avare, le vantard, la femme frustrée, l'homme à la mauvaise haleine, le pédant, le professeur distrait et "crâne d'œuf" : "Un crâne d'œuf traverse les mers lorsqu'une violente tempête se lève. Ses esclaves sombrent dans la terreur. "Ne pleurez pas, les console-t-il, Je vous ai tous affranchis dans mon testament". Après le Philogelos nous faisons connaissance avec Poggio Bracciolini dit le Pogge. Secrétaire de huit papes sur un demi-siècle, il ne fut pas seulement le plus grand chasseur de manuscrits de son temps mais il mania aussi l'une des plumes les plus acérées de son époque, stigmatisant les vices du clergé. Il fut surtout reconnu par un recueil de facéties 273 textes - plaisanteries, bons mots, calembours et histoires drôles - qu'il publia en 1451, à l'âge de soixante-dix ans. Bien que la majeure partie des histoire touche au sexe et brocarde la moralité des hommes d'Eglise, il n'y eut pas l'ombre d'une condamnation de la part du Vatican. Lisez plutôt celle qui va suivre : "Un moine conclut son prêche contre l'adultère par les mots suivants : "Il s'agit d'un pêché si abominable que je préfèrerais coucher avec dix vierges plutôt qu'avec un seule femme mariée". Ce à quoi le Pogge ajoute : "Nombre de ceux qui l'écoutaient partageaient cet avis". Après l'Italie, l'Angleterre ou grâce à l'engouement que connût la rédécouverte de Philogelos, l'humour devint plus bref, plus incisif. Ce changement est sensible dans "Les plaisanteries de JO Miller", le recueil le plus populaire d'une nouvelle génération d'ouvrages qui commençaient à fleurir sous le règne du roi George. Miller était un acteur de théâtre notoirement lugubre et ses histoires furent réunies un an après sa mort en 1739. Son nom devint synonyme de plaisanterie éculée tellement son ouvrage connut de rééditions. "Une femme à qui l'on demande comment elle a trouvé le récital d'un chanteur ayant mauvaise haleine répond que les paroles étaient belles mais l'air intolérable". Au début du 19ème siècle thomas Bowdler expurgea Shakespeare de ses passages les plus osés et les recueils de blagues furent également assainis. Pourtant les blagues cochonnes ont survécu dans la culture orale jusqu'à ce qu'elles soient à nouveau éditées dans les années 1960, dans toute leur répugnantes majesté par Gashon Legman, qui prétendait avoir crée dans une conférence prononcée en 1963 à l'Université de l'Ohio, cette phrase qui va devenir le slogan emblématique de la génération Hippie : "Faites l'amour, pas la guerre". Legman a passé trente-cinq années à compiler des histoires pour ses livres transcrivant sur fiches quelques soixante mille variantes, les regroupant par types et motifs, les pistant de pays en pays, de culture en culture, remontant jusqu'à l'époque du Pogge et au-delà. Après Legman, on découvre Nat Schnulowitz (1889 - 1966), probablement le plus grand collectionneur de blagues de tous les temps. Il localisa l'unique exemplaire restant du recueil de contes élisabéthains à la Bibliothèque royale de Göttingen et en acquit un rarissime fac-similé. Dès lors, il consacra l'essentiel de ses loisirs à parcourir les catalogues de libraires et le monde à la recherche de ces spécimens en voie de disparition "C'est une maladie, disait-il, une maladie merveilleusement merveilleuse". Au risque de ne pas le plagier nous dirons que "Petite philosophie des blagues et autres facéties" (est un livre sérieusement rigolo. Pire que c'est une source merveilleuse de merveilles merveilleusement merveilleuse etc...