par Abdelhamid GMATI Depuis la révolution, tout le monde a son idée sur la presse, les médias dans leur ensemble. Le Premier ministre, les chefs des partis politiques, les avocats, tous jusqu'au citoyen lambda, attendent beaucoup de la presse dont on souligne le rôle important dans la réussite du processus de démocratisation du pays. Les critiques sont beaucoup plus nombreuses que les suggestions ou les encouragements. Certains parlent à tout-va de la liberté de presse. Il faudrait rappeler que cette liberté, comme toutes les autres, n'est jamais absolue, ni en Tunisie ni ailleurs. Hier, comme aujourd'hui, comme demain, il y a eu, il y a et il y aura des garde-fous, des lignes rouges. Notre bon confrère Nizar Bahloul a identifié, judicieusement, certaines de ces «nouvelles lignes rouges» dans un article, paru sur son journal en ligne Business News (le 11/7/2011). Il y a ainsi plusieurs secteurs, plusieurs thèmes à éviter, car touchant des intérêts divers. «Si ce n'est pas le politique qui vous censure, c'est la justice qui s'en chargera. Et si ce n'est pas la justice, c'est le milieu des affaires. Et si ce n'est pas le milieu des affaires, c'est la rue. Au nom de Dieu, au nom de la raison d'Etat, au nom de la cohésion sociale, au nom de la Loi, au nom de l'argent ou encore au nom de l'identité nationale, il y a toujours une raison (valable ou non) pour imposer une ligne rouge et limiter la liberté d'expression à ceux qui ont un avis contraire, un avis polémique ou (le pire) un avis provocateur». Les journalistes le savent et les professionnels tiennent compte de cette réalité qui veut que leur liberté, comme toutes les autres, est régie par des règles, des lois et une déontologie professionnelle. L'information post-révolutionnaire, qui suscite beaucoup d'espoir, recèle quelques maladies infantiles. La première est cette crainte, qui s'apparente à de la peur, des journalistes d'être traités de «benalistes», appartenant à l'ancien régime, adeptes d'une information biaisée, etc. Le résultat est de déclencher un effet inverse : alors que l'information était laudative, mensongère, encensant les actions des pouvoirs publics, aujourd'hui, on fait le contraire; pas d'information ou si peu se rapportant à l'action du gouvernement. Une nouvelle langue de bois veut qu'on critique et dénigre ce que font les pouvoirs publics. Langue utilisée du reste par une grande partie de la classe politique : les opposants continuent à s'opposer et à critiquer, oubliant le fait que leur tâche est de construire et de proposer et non de détruire. Pour certains journalistes, il n'est pas question de donner raison aux pouvoirs ou de reconnaître une action positive. Dans leurs interviews, ils n'hésitent pas à interrompre leurs invités dès que les réponses ne vont pas dans le sens souhaité; au point qu'un ministre invité n'a accepté de se présenter au studio de télé qu'à la condition de ne pas être interrompu et de le laisser répondre aux questions. Mais cette maladie ne s'arrête pas aux seuls membres du gouvernement. Des experts en sont aussi victimes et certains dirigeants de partis politiques. Pas tous, car les «nouveaux» journalistes ont aussi leurs préférences (souvent cachées) : le parti islamiste a ses entrées sur toutes les chaînes et ses invités sont chouchoutés. Autre maladie infantile : l'information non vérifiée, incomplète, la rumeur présentée comme info, ou l'amalgame. Ainsi, on nous parlera de tel ou tel responsable de l'ancien régime, «convoqué et entendu» par le juge d'instruction. Soit. Mais on s'abstiendra de préciser si cet ex-responsable comparaît comme témoin ou comme accusé. La différence est de taille et a une conséquence, souvent désastreuse, sur la réputation et la personnalité de la personne. Dans le même ordre d'idées, on se permet des affirmations, des procès d'intention, voire des accusations sans preuve aucune. Ainsi en a-t-il été de l'animateur producteur Sami Fehri objet d'un documentaire accablant diffusé par la chaîne nationale. Cet animateur vient d'être blanchi par la justice tunisienne et a gagné le procès en appel qu'il avait intenté contre l'Etat tunisien, et ce, après le gel de ses avoirs. Désormais, Sami Fehri redevient un citoyen «normal» ayant son droit fondamental de gérer ses biens et avoirs. Et c'est la troisième personne dans ce cas après Hédi Djilani et Moncef El Materi. L'empressement de faire du sensationnel et de se montrer «révolutionnaire» transparaît aussi dans cette pratique non professionnelle d'inviter des personnes et les laisser en accuser d'autres, en leur faisant souvent des procès d'intention. Le métier veut qu'on donne à chacun le droit de donner son avis et de se défendre. Et cela doit se faire en même temps, durant la même émission et sur les mêmes colonnes. Décaler les interventions revient à commettre deux fois la même erreur. Il n'existe pas d'information objective, mais on doit se tenir à une information honnête, vérifiée, donnant les divers points de vue. Indépendamment de leurs auteurs et de leurs sources. Sinon, on tombe dans le défaut grave tant craint par les professionnels: se faire manipuler. Cela s'appelle alors la désinformation et cela nuit à l'esprit de transparence, de démocratie, d'honnêteté, de la révolution.