Essif dhif (l'été est un hôte de passage). Jamais ce dicton n'a été aussi vrai, à peine débarqué. L'été de cette année, s'approche de la fin; il en reste le tiers à un jour près. Aoussou est déjà là; c'est la tranche de la belle saison qui est réputée la plus chaude de l'année, comme quoi l'été n'aime pas déguerpir sans nous piquer au vif; heureusement qu'il y a de belles et douces soirées en perspective car pour cette année aoussou coïncide avec Sidi Romdhane qui veut dire grande chaleur également. Pour nous rafraîchir, il nous faut absorber beaucoup de liquides à l'heure de l'Iftar (rupture du jeûne), nos divas sont à pied d'œuvre pour être à la hauteur de l'événement. Il y a celles qui font leurs réserves chez elles à domicile, d'autres plus pressées ou moins regardantes, préfèrent le tout prêt quitte à ne pas faire attention à la qualité. Elles ont leurs raisons, peut-être que leurs occupations sociales, dans cette période exaltante, les empêche d'être au four et au moulin. Quant à nous, ayant un petit faible pour celles qui perpétuent les bonnes traditions, nous sommes toujours à la recherche de l'oiseau rare. Nous avons déniché pour nos lecteurs une grande dame, racée et distinguée. Présentons-la avant qu'elle ne s'éclipse dans son lieu préféré, sa cuisine. Aziza, la dame aux doigts de fée Aziza a bien mérité son prénom. Celle que sa descendance appelle Nana est bien entourée et follement adorée par sa nombreuse progéniture, tenez-vous bien : cinq filles et sept garçons. Cette sexagénaire n'a rien perdu de sa vivacité et pour cause! Ses journées sont toujours bien remplies. Née il y a soixante-huit ans dans une petite ruelle du faubourg sud de la Médina de Tunis, portant un joli nom Ras-Eddarb qu'on pourrait traduire par «le fond de la cheminée». C'est sous la protection de saints vénérés qu'elle a passé son enfance et sa jeunesse. Les cheikhs Zaouali et Ben M'louka veillaient sur ce petit quartier populaire et besogneux. Dès sa petite enfance, Nana a appris à travailler. Les petites filles de son époque ne restaient jamais les bras croisés. Elles travaillaient, elle et ses copines, pour les parfumeurs de Souk El Attarine, mais à domicile. Certaines confectionnaient des bougies, d'autres des paquets de henné, les plus habiles étaient chargées de rembourrer les corbeilles pour les jeunes mariées, les knastrou d'antan. C'est aussi dans cette ambiance parfumée que Aziza a commencé à se familiariser aux arômes. Mariée, elle a quitté la Médina et ses faubourgs pour toujours, pour s'installer avec sa famille à Jebel ejloud, banlieue populaire au sud de la capitale. Deux de ses enfants, ayant grandi, se sont adonnés au bon métier de boucher. Le premier en France , le second à Mégrine. Elle a, à travers ses enfants, renoué avec les parfums, ceux de la chair animale. Nana s'est spécialisée dans la confection de la viande boucanée et ébouillantée, le fameux qadid. Nous disions que Sidi Romdhane arrive à grands pas, alors que l'Aïd El Kébir est encore loin; Aziza ne peut pas laisser sa grande famille sans ce condinet obligé pour les soupes et les potages de Ramadan. Elle est déjà à l'œuvre depuis une semaine, car le temps presse. Aziza prend un flanchet qu'elle coupe en lanières qu'elle mélange avec du sel, de l'ail écrasé, de l'harissa maison et de la menthe pulvérisée. Elle les laisse pendant deux jours dans une bassine, puis les étale pour sécher de préférence à l'ombre quand le soleil est trop fort, pendant pas moins d'une dizaine de jours. Bien séchée, la viande est passée dans un bain d'huile d'olive bouillante. Puis elle les laisse refroidir et les conserve dans leur huile. Cette viande va parfumer tous les plats au maigre durant le mois de la gloutonnerie et du bien-manger.