Sans doute, le mois de Ramadan va-t-il nous rendre moins méchants, les uns les autres, que durant les manifestations, les tribunes et les sit-in. C'est le mois de l'Ouma, un mois de la parenthèse qui rend la pensée politique plus molle et la pensée religieuse plus forte... Qui plus est, s'agissant d'un mois exceptionnel, le mois d'août, un mois «terrible» et que l'on imagine à l'avance, comme cet enfer de Dieu, avec ses sacrés coups pour notre bonne volonté mise à l'épreuve. Comme le disait Baudelaire, à propos de l'existence elle-même, le mois sacré, de l'abstinence et de la piété, apporte aux uns, la paix, aux autres le souci. Mais, d'une façon générale, cet héritage que nous conservons et entretenons depuis presque mille cinq cents ans, nous convie presque tous à des situations de renoncements tels, qu'il nous faut inventer des mécanismes autrement subtils pour éviter les tentations qui peuvent nous nuire ou nuire aux autres. En temps normal —et nous y reviendrons à partir de septembre— la société nous met dans des situations où nous avons intérêt à être méchants. La bataille des prochaines élections nous rendra méchants, sans le savoir, sans même nous en rendre compte. Etre méchants, c'est-à-dire énergiques, batailleurs, agressifs, pourfendeurs des idées qui ne sont pas les nôtres. Le mois de Ramadan est celui de la vertu même, si l'on n'est pas du tout vertueux. On se met alors à jouer de sa tendresse et de sa timidité pour s'extraire des pires situations vécues, que l'on ait bonne ou mauvaise conscience. Depuis la révolution du 14 janvier, je me suis remis à la lecture des grands philosophes du XVIIIe siècle : Jean-Jacques Rousseau, notamment, à travers l'Emile et le Contrat social. L'Emile est comme il nous l'apprend, la reconstitution de l'homme privé qui vit d'une mémoire qui imprègne forcément son présent. Le Contrat social nous renvoie à la notion de citoyenneté. Le mal, dans notre société tunisienne, c'est que l'homme privatif, en raison du fait religieux qui est ancré en lui, n'est pas capable de s'extraire du fatum auquel, comme chez les jeansénistes, on a voulu à tout prix l'asservir. Quant au citoyen qu'on voudrait qu'il soit depuis le 14 janvier, il semblerait que le temps n'ait pas encore fait son travail pour le déclarer comme véritable citoyen révolutionnaire. C'est-à-dire un citoyen politique pour qui les notions de justice et d'intérêt doivent se réconcilier, quitte à ce qu'il redevienne méchant. Et ceci, sans oublier la donne religieuse —propre aux pays du monde arabo-musulman— et qui ne doit pas s'immiscer dans les affaires politiques du monde temporel, autrement dit le pouvoir législatif. Un pouvoir que nos legislateurs tentent, vaille que vaille, de dresser pour notre société depuis quelques mois. Ce mois de Ramadan, dans tous les cas, doit nous donner à réfléchir au si peu de temps qu'il nous reste avant le vote qui ouvrira grandes les portes de notre destin terrestre. Avec la volonté de Dieu, bien sûr...