Par Slaheddine KAROUI Les difficultés les plus apparentes de la Tunisie proviennent de la hausse continue des prix de l'énergie et des denrées de base. Mais les réactions à ces deux événements seraient illusoires si elles ignoraient un troisième : l'émergence des TIC. Prix de l'énergie et des denrées de base et émergence des TIC sont liés et impactent le destin de la Tunisie : plus les prix sont élevés, moins l'accès aux TIC est facile; moins l'accès aux TIC est facile, plus la croissance est faible; plus la croissance est faible, plus elle s'endette; plus elle s'endette, moins elle a de prise sur son destin ; moins elle a de prise sur son destin, plus sa liberté de décision est réduite; plus sa liberté de décision est réduite, plus elle a recours à l'étranger; plus elle a recours à l'étranger, plus elle en dépend. Ce schéma la met donc en position de perdre sa souveraineté, sauf à effectuer des choix politiques et économiques justes compensant par leurs performances le renchérissement des prix du pétrole et des céréales. Certains pays africains — très rares —, qui n'ont pas de pétrole, où si peu, sont dans ce cas sans pour autant arrêter de fournir la preuve que des orientations économiques appropriées procurent assez de richesses pour satisfaire les besoins de la société, à la fois en denrées alimentaires, en TIC et en énergie importées. Ces orientations auraient donné, bien sûr, de bien meilleurs résultats si elles étaient adossées à des régimes démocratiques.Objectivement, si la Tunisie réussissait sa conversion à la démocratie et la transparence elle rejoindrait rapidement, en termes de richesse les pays du Bric. Mais la mise en œuvre de la politique de développement répondant à ces critères suppose que celle-ci ne soit pas compromise au départ : le choix des actions prioritaires ainsi que celui des moyens et méthodes peuvent, en effet, générer des tensions de nature à gêner le mouvement d'ensemble. Car il est impératif de garder à l'esprit que les citoyens tunisiens, irrésistiblement happés par la spirale des revendications révolutionnaires et de la consommation, ne nourrissent qu'une seule aspiration : l'émancipation financière et l'appétit d'égalité. Cette aspiration exaspérée par des années de privations et de frustrations exacerbées par les signes extérieurs de richesse étalés sur la voie publique, mais aussi sur les écrans de l'Internet et des chaînes de télévision, veut des résultats significatifs et immédiats, forcément incompatibles avec les contraintes et les disciplines associées aux mutations de la société. Cet antagonisme entre deux tendances : celle des citoyens qui veulent avoir tout et tout de suite et celle des autorités publiques qui ont besoin de temps pour opérer leurs réformes, notamment en matière de libertés, de formation et de mise à niveau des compétences, appelle un réaménagement profond des hiérarchies traditionnelles que le gouvernement provisoire, actuel, appréhende d'entreprendre dans la précipitation. Jusqu'à aujourd'hui, l'informatique continue d'être chère et peu performante : chère parce que les équipementiers fixent les prix à leur guise; peu performante, car de nombreuses fonctionnalités des ordinateurs, des logiciels, des progiciels et de l'Internet ne sont pas utilisées. De fait, il arrive fréquemment que seulement 20 à 30% des ressources des TIC soient exploitées. Ce qui revient à dire que pour un investissement de 1.000 euros, par exemple, 700 euros sont perdus à jamais. Comme, sous la pression du marché, les machines sont chaque année renouvelées, ça signifie qu'il en est de même des pertes. En extrapolant ces dernières à l'échelle du pays, cela représente des centaines de millions d'euros offerts gratuitement aux équipementiers et éditeurs de logiciels. Pourquoi cette dérive ? Parce que nombreux sont les organismes qui méconnaissent les ressources des TIC et la manière de les exploiter à fond; parce qu'ils ne savent pas définir leurs besoins; parce que, enfin, ils pensent naïvement ou vaniteusement qu'un nouveau logiciel ou un nouvel équipement mis sur le marché doit absolument remplacer l'ancien devenu inopérant et passé de mode ! L'informatique nouvelle est riche en solutions. Les schémas, qu'ils soient centralisateurs, décentralisateurs, autoritaires, fermés, ouverts, verticaux, horizontaux…trouvent, tous, des solutions adaptées aux besoins de commandement, de régulation, de contrôle ou de délégation. C'est donc un outil de communication et de décision qui se situe au cœur de la gouvernance, quel que soit son type. C'est aussi un outil qui a vocation d'élargir le champ du savoir et d'offrir du rêve. L'informatique nouvelle déborde, largement, la frontière de l'ancienne focalisée sur le développement des applications et la maintenance du matériel : elle offre des capacités de transmissions très importantes grâce aux commutations par paquets permettant d'acheminer bases de données, télécopies, messages, sons et images; elle permet à des centaines de millions de personnes d'échanger entre elles, à titre individuel, ou aux noms d'organismes de toutes natures (entreprises industrielles, maisons d'édition, banques…), des informations couvrant tous les domaines; elle procure à tous, images, vidéos, statistiques, renseignements divers, nécessaires à l'exercice de leur métier ou, simplement, de leurs loisirs; elle facilite les débats, les forums et même les aménités sous forme, par exemple, de jeux d'échecs; elle donne accès au savoir et à l'éducation; elle met fin à l'isolement des pays enclavés et des individus en leur donnant la possibilité d'entrer en contact avec n'importe qui et n'importe quel point du globe; elle est un outil universel de communication par le truchement duquel les échanges culturels entre les peuples sont entièrement transparents et profitables à tous, même si dans la réalité, les choses ne sont pas aussi simples pour nos pays, et ce, pour trois raisons, au moins: 1. De nombreuses productions culturelles, nécessitant des montages compliqués et des retours sur investissement rentables et immédiats, ne sont pas à portée de bourse de la majorité des pays africains, dont la Tunisie. 2. Les langues pratiquées par ces derniers, y compris le français, n'ont pas une vocation suffisamment universelle pour que soit assurée la diffusion marchande de leurs créations intellectuelles. 3. Certaines composantes artistiques sont difficilement valorisables pour la production culturelle africaine, folklore et théâtre, notamment. Mais il paraît illusoire d'attendre de la seule informatique nouvelle une modification en profondeur, durablement avantageuse, de la structure de la société tunisienne. A cet effet, doivent entrer en jeu, d'autres leviers de la croissance tels que la liberté d'expression, la pratique de la démocratie, la généralisation de l'instruction, l'émancipation complète de la femme, l'autosuffisance alimentaire, la maîtrise des ressources hydrauliques, l'utilisation de l'énergie solaire, la protection de l'environnement, la maîtrise du management, etc. L'informatique nouvelle affiche des ambitions illimitées et recule quotidiennement, de façon vertigineuse, les frontières de ses applications et de son maniement. Personne ne pouvait prévoir, il y a seulement dix ans, l'apparition des réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter, Copains d'Avant …ni prédire il y a quelques mois que le Web social par défaut allait faire son apparition ou que la guerre cybernétique n'était plus une vue de l'esprit ou encore imaginer que des millions de personnes allaient descendre dans la rue pour chasser des dictateurs et faire la révolution à l'appel d'internautes géniaux pianotant des appels à la mobilisation sur leurs claviers au vu des images captées sur le terrain de la révolte et transmises sur tous les écrans des TV, PC, Mobiles du monde pour être diffusées aux quatre coins du globe. Il faut donc tenter, périodiquement, d'identifier et déterminer les points d'appui (effets positifs sur la productivité, le savoir, l'équilibre externe, la régulation, la recherche) et les points faibles (solutions négatives, improductives ou malsaines) de l'informatique, en vue d'anticiper les effets de ses retombées, désormais colossales, sur la société.