L'absence de public dans la soirée de clôture des "Nuits de Carthage", samedi dernier au musée de Carthage, contredit les analyses de Sghaïer Ouled Ahmed, sur le rôle de la poésie dans les soulèvements arabes. Si les manifestants se sont inspirés de vers très connus, comme ceux d'Aboul Kacem Chebbi, ils ne semblent pas prêts à y prêter l'oreille, pendant toute une soirée qui lui était pourtant dédiée. Ouled Ahmed a mis en place, avec beaucoup d'acharnement, «Tunisie-poésie», un spectacle de poèmes et de chants qui est passé par Sidi Bouzid, Kasserine, Nabeul, Sfax et enfin Carthage. Tour à tour, des poètes de Tunisie et d'autres pays arabes lisent des extraits de leurs œuvres, intercalés par quelques airs joués par la troupe "Les colombes". Cette dernière a également interprété deux chansons, au début et à la fin de la soirée. «Kalimat» (mots), est un terme privilégié, voire fétiche, pour Sghaïer Ouled Ahmed. Il le met partout, l'affiche tout le temps et s'en sert souvent. "Kalimat" est d'ailleurs, le titre du poème phare de feu Mnaouar Smadah (1931-1998), certainement l'un des plus importants poètes tunisiens contemporains. Ce poème, Ouled Ahmed aurait souhaité l'avoir écrit avant Smadah, au point d'avoir prénommé son enfant "kalimat", une petite fille qui le suit là où ce poème est présent. Mais il n'y a pas que Sghaïer qui aime «Kalimat». "Les colombes" l'ont, en effet, intégré à leur répertoire. Le lien est donc évident : cette chanson a ouvert le bal de «Tunisie-poésie». La scène, sobre et joyeuse en même temps, a été décorée par Ridha Boukadida. Tout autour, il a mis des drapeaux en blanc, rouge, noir, vert et doré; soit les couleurs qui font les drapeaux des pays arabes en soulèvement. Avant de céder la parole à ses invités, Sghaïer Ouled Ahmed s'est solennellement adressé au public, lui demandant d'abord, une minute de silence, expliquant ensuite, qu'elle est destinée aux martyrs de la «révolution» ainsi qu'aux poètes martyrs, ceux tués et trahis dans différentes époques de l'Histoire. C'est fou ce que cet homme sait manier la langue arabe et c'est toujours un plaisir d'entendre, ne serait-ce qu'un simple texte de présentation, écrit par ses soins. Douze poètes, quatre par quatre ont pris la relève. Ils sont tunisiens, égyptiens, yéménites, syriens, palestiniens, jordaniens et irakiens. Les mots ont coulé de leurs bouches comme une rivière paisible pour certains, une mer profonde et agitée pour d'autres. Ouled Ahmed a opté pour une variation des styles et des générations. Par ordre, Yosra Frawes, Yahya Battat, Moncef Ouhaibi, Bouzid Harzallah, Adel Mîizi, Zouhair Abou Chaïeb, Chahine Sefi, , Anis Refaï, Naceur Sami, Joulan Hajji, Moujib Abderrahmane Hrach et Oumaïma Zaïer ont parlé, directement, ou indirectement, révolution. Certains textes étaient pleins de fierté et empreints d'optimisme, d'autres versaient dans un réalisme des plus simples. Il était également intéressant de voir à quel point ces invités étaient impressionnés et inspirés parce qu'ils croient que le peuple tunisien a accompli, alors que ce dernier passe par des moments incertains, où le moral n'est pas vraiment au top et la déception souvent au rendez-vous. La preuve, il ne croit plus à la poésie. Il serait sans cela venu plus nombreux. Il n'y aurait pas eu une vingtaine de personnes à peine, répétant avec "Les colombes", à la fin de la soirée, «ach'chaâb yourid iskat an'nidham» (le peuple veut la chute du régime). Un poème, disent les membres du groupe, écrit par le peuple. Mais il semble que ce "poète"-là ne s'est pas présenté, samedi dernier, pour finir la lecture de son œuvre!