Le public, présent en masse, était acquis d'avance. Il semblait très bien connaître le travail de Mourad Sakli et sa verve musicale et il est venu probablement découvrir la nouvelle voie empruntée par ce compositeur, après Ghmouk El ward, le spectacle d'ouverture de Carthage 2002. Et comme tout le monde, ou presque, apprécie les deux voix féminines (Dorsaf Hamdani et Chahrazed Helal) auxquelles il a fait appel, on s'attendait tous à un spectacle musical de qualité. Dès les premières notes, le public était prédisposé à tendre l'oreille et à suivre solennellement la démarche de cet artiste. Son «takht» (orchestre réduit) était installé à la droite du public et les deux interprètes ont pris place sur deux chaises en retrait, laissant la scène entièrement nue : grande trouvaille de mise en scène ! Terre d'olivier est, en fait, une conversation entre deux protagonistes, à savoir la terre, alias Chahrazed Helal, et l'olivier, alias Dorsaf Hamdani. Un échange—entre ces deux éléments de la nature qui se racontent l'histoire de notre patrie et les nombreuses révoltes de ses gens contre l'injustice et l'occupation, jusqu'à arriver à l'avènement du 14 janvier—, s'établit. Dans sa conception musicale, Mourad Sakli alterne chant et musique instrumentale, tout en accordant des marges conséquentes aux solos. Toutefois, au bout d'une demi-heure, nous avions déjà fait le tour. La musique est devenue redondante avec un air de déjà entendu. Les phrases musicales qui se répètent en boucle commencent à lasser le public. Dommage, car Mourad Sakli nous a habitués à plus de créativité; mais cette fois-ci, il semble avoir raté le coche ! De même pour les poèmes chantés par les deux cantatrices, signés Khaled Oueghlani, où l'on a eu droit à toutes sortes de clichés surconsommés depuis la révolution du 14 janvier, du genre «l'histoire ne pardonne pas», «ne jamais trahir le sang des martyrs»… Une nouvelle langue de bois s'est, à l'évidence, mise en place dans les textes de ce poète, habituellement connu pour ses métaphores joliment formulées ! Côté mise en scène, si mise en scène il y avait, on a eu du mal à saisir la démarche : un écran au centre sur lequel on voyait des dessins prendre forme sous nos yeux, l'artiste peintre usant de plusieurs techniques pour illustrer les différentes époques de notre histoire avec des dessins sur le sable, de l'aquarelle, des découpages et coups de crayon, mettant en images des scènes de manifs, de révolte et d'autres illustrations naïves… Quant aux mouvements des deux chanteuses, dont nous ne discuterons pas la présence, ils étaient limités à quelques va-et-vient sur la scène. Changeant à chaque fois de place; tantôt elles s'asseyaient à droite, tantôt à gauche, sans recherche. Pourtant, Chahrazed et Dorsaf sont supposées incarner des personnages, à savoir la terre et l'olivier, porteurs de sens et de symboles. Elles ne sont nullement de simples voix qui interprètent des chansons. Encore dommage que la dimension théâtrale n'ait pas été suffisamment exploitée. Au bout d'une heure et demie de musique, on a eu droit à ce qui était supposé être le clou de la soirée : un finish qui, bien entendu, faisait les louanges de la révolution du 14 janvier. On nous a inlassablement servi un discours, désormais, éculé, sur «la lune du 14», «les mémoires amnésiques», «la contre-révolution», «les martyrs», «les traîtres» et tutti quanti ! Le tout sursouligné par les illustrations sur le grand écran, de coupures de presse relatives aux procès des Trabelsi et des Ben Ali, ainsi que des caricatures sous les applaudissements d'un public saisi par tant de raccolage. Terre d'olivier, idée et musique de Mourad Sakli, poèmes de khaled Oueghlani et mise en scène de Hatem Derbal, nous a paru le prototype d'un travail artistique qui s'embourbe dans des propos autres qu'artistiques, à savoir politico-révolutionnaires, chantant les louanges d'une révolution menée par d'autres, avec des mots galvaudés et vidés de toute charge émotionnelle. Les chanteuses qui s'efforçaient de se montrer crédibles, n'ont fait que débiter des slogans vieux comme le monde. Mourad Sakli aurait gagné à proposer un travail poétique et musical de qualité, comme il sait très bien le faire, au lieu de courir derrière les "gloires" d'une révolution qui n'aspire qu'à ce qu'une révolution culturelle suive, que la créativité explose et que les carcans se brisent. On ne le répétera jamais assez : la langue de bois est la pire ennemie de l'art. A bon entendeur…