Le charme inégalé du mois de Ramadan à Kairouan consiste, d'une part, à mêler de façon alternée le sacré et le profane et, d'autre part, à nous enseigner la convivialité, le partage et la solidarité. C'est que le mois saint n'est pas uniquement le mois de l'abstinence et de la spiritualité, il est aussi celui des veillées tardives, des activités sociales et culturelles, des fastes culinaires, des envies et des caprices de toutes sortes. Par ailleurs, la plupart des commerçants changent leurs horaires de travail, réduisent leurs activités diurnes et font la grasse matinée. Quant aux cafés qui sont fermés toute la journée, ils grouillent de monde le soir, on s'y installe pour humer l'atmosphère nocturne, goûter à une certaine douceur de vivre en sirotant un thé à la menthe, en écoutant de la musique, en plaisantant avec les amis, en discutant de la complexité de la vie sociopolitique et en jouant aux cartes. Nader Atallah, jeune cadre, nous confie dans ce contexte : «Après une journée de travail, de fatigue, de canicule et de jeûne, j'aime bien me débarasser des soucis quotidiens en veillant avec mes amis au café qui devient presque notre deuxième foyer, on y veille parfois jusqu'à 2 heures du matin avec de passionnantes parties de belote… ça fait partie du charme de Ramadan où on peut décompresser!» Quant au volet religieux, il comprend, outre les prières des trawih, la programmation dans toutes les délégations du gouvernorat de conférences théologiques, de causeries et d'évocations du Hadith. Le volet culturel comprend un grand nombre d'activités et de manifestations, d'animation variée qui créent une bonne ambiance dans les zones les plus reculées. A part cela, beaucoup de familles préfèrent passer les longues veillées ramadanesques à la maison afin de partager avec les enfants les plaisirs de la table, regarder les feuilletons et les variétés, et vivre ainsi des moments exceptionnels, parce que tellement rares durant les autres mois de l'année. Et, en dépit des contraintes financières et de la cherté des produits de forte consommation, tous les dérapages et les dépenses sont permis et on s'autorise tous les caprices et envies, surtout quand on invite des parents ou des amis intimes à rompre le jeûne et à passer la soirée ensemble. Pour cela et comme pour une épreuve sportive, on se surpasse et on ne lésine pas sur les dépenses pour préparer tel ou tel plat. Notons, dans ce contexte, que beaucoup de jeûneurs se rendent dans les localités d'El Baten et de Kairouan-Sud pour acheter des œufs de ferme et de la viande qu'il trouvent plus fraîche et meilleure que celle proposée en ville. D'autres se rendent en fin d'après-midi aux quartiers périphériques du nord de la ville pour acheter de la tabouna préparée par des habitantes aux mains expertes. N'oublions pas d'évoquer la présence de brigades spéciales de contrôle sanitaire et économique pour le respect des règles d'hygiène et de la bonne qualité des produits exposés. Bref, Kairouan, pendant le mois de Ramadan, c'est l'ambiance religieuse, c'est l'amour discret du monde et des êtres, c'est la mystérieuse et impondérable sensation donnée à chaque visiteur.