* L'aumône des petits escrocs au mois saint * Larcins dans les mosquées * Tartufferies sur tubes cathodiques * Vacarme et vandalisme autour des tombes Quelle part les gens font-ils encore, dans leur vie de tous les jours, à la haute spiritualité ? C'est là une question qui revient souvent après chaque délit commis sur un objet sacré ou dans un endroit en principe tabou. En ce mois saint, l'occasion est offerte presque chaque jour de réfléchir sur le même sujet et de se demander si certains concitoyens n'ont pas tendance à observer moins de respect à l'égard de ce qui naguère suscitait crainte et vénération. Les nobles valeurs universelles font justement partie de ces choses qu'on ne tient plus dans la même estime qu'autrefois. D'autre part, on porte désormais atteinte aux symboles de la sainteté avec plus d'effronterie et moins de scrupules qu'il y a un demi-siècle. Ce comportement -moralement, religieusement et juridiquement répréhensible- reste tout de même circonscrit chez nous mais la crainte habite tout un chacun qu'il ne se généralise et inaugure dès lors une ère de décadence sans fin dont on ne saura mesurer les dramatiques retombées sur les individus et sur la société tout entière. Nous avons choisi avant de chercher à comprendre les facteurs de la déviance de relater quelques faits divers et crimes récents qui illustrent la dépréciation que subissent sous nos cieux certains symboles sacrés.
Faux aveugle et fausse aumône Le premier jour de ce Ramadan 2009 (1430 de l'Hégire), nous avons croisé dans la station de métro de Bab Saadoun un sexagénaire encore bien portant mais qui a préféré gagner son pain quotidien en mendiant. Jusque là, rien de véritablement original, dans la mesure où la mendicité (dans ses formes directes ou déguisées) tend à devenir une pratique unanimement tolérée. L'homme recourait toutefois à un procédé d'escroc pour susciter la compassion des autres : il mettait de sombres lunettes de soleil et tenait à la main une canne blanche semblable à celle des non-voyants. Or, notre mendiant trahissait en marchant tous les signes d'une excellente vue. En regardant de plus près sa canne, nous nous rendîmes compte qu'il l'avait confectionnée lui-même à partir du manche blanc d'un parasol et du bout supérieur d'une canne en bois qu'il prenait soin de cacher aux regards fouineurs. Nous allâmes dans sa direction et lui demandâmes s'il souffrait vraiment de cécité ; il nous répondit presque imperceptiblement : " oui un peu ! " et ajouta avec une voix craintive " j'ai eu un accident et je dois nourrir une famille nombreuse. " Interrogé sur son subterfuge d'arnaqueur, il reconnut tout de suite son tort et, nous prenant pour des policiers en civil, il nous supplia de le comprendre et de pardonner son geste puis partit sans demander son reste. On était, rappelons-le, le premier jour de Ramadan et le faux aveugle nous avait juré par tous les saints qu'il honorait scrupuleusement ses devoirs de musulman !
Sur les lieux saints Les larcins et grands vols commis à l'intérieur des mosquées ont tendance à se multiplier depuis deux décennies au moins : chaussures, montres et portables des prieurs ; tapis, ventilateurs, climatiseurs de la mosquée, toutes sortes de biens sont désormais convoités par des malfaiteurs sans foi ni loi que la sainteté du lieu où ils opèrent est loin de retenir. L'Imam d'une mosquée d'El Ouardia nous a parlé de jeunes drogués et d'ivrognes qui osent pénétrer dans un état second l'enceinte religieuse et y perpétrer quelques forfaits dont ils ne sont même pas conscients. Un homme de loi parmi nos interlocuteurs raconte quant à lui comment quelques-uns de ses parents qui effectuaient leur pèlerinage ou leur omra ont été délestés de biens précieux sur les Lieux Saints mêmes. D'autres personnes interrogées évoquèrent le vandalisme et les souillures diverses que subissent les mausolées de marabouts et les cimetières, endroits censés bénéficier d'une certaine vénération de la part des visiteurs et d'une protection régulière de la part des autorités.
Tartufferie sur antenne Que dire maintenant de ces chaînes de télévision arabes habituées, en dehors de Ramadan, à diffuser 24 heures sur 24 des clips hard qui montrent des jeunes danseuses se trémoussant sans répit et très lascivement sur des chansons aux paroles non moins suggestives. En braquant son appareil sur les corps affriolants de ces filles et en zoomant sur des parties généreuses de leurs aguichantes anatomies, le caméraman ne cache pas du tout ses intentions ni celles du réalisateur du film lequel tient beaucoup plus à vendre son produit qu'à respecter les bienséances et la bonne moralité. Mais voilà, dès le premier jour de Ramadan, les chaînes de ce genre se mettent à programmer chants liturgiques sur psalmodies à longueur de journée. Au point d'être prises d'ailleurs pour des canaux religieux du type que vous devinez. Le plus hypocrite dans la tendance, c'est que sur certaines chaînes, on revient, immédiatement après la rupture du jeûne, aux clips dansants décrits plus haut. Voilà ce qu'on pourrait appeler une tartufferie sur antenne ! Badreddine BEN HENDA --------------------------------------- Le pourquoi d'un tel comportement Comment expliquer ces actes profanateurs condamnables de quelque point de vue qu'on se place ? Nous avons cherché la réponse auprès d'un imam de mosquée, d'un avocat et d'un professeur d'éducation islamique. Tous sont unanimes pour trouver les gestes rapportés indignes d'une société civilisée et de citoyens responsables.
Manque d'éducation " Pour l'Imam, la faute est aux institutions religieuses qui ne font pas assez pour répandre la vraie foi et les bons préceptes de l'Islam. " Les dignitaires religieux et les ulémas doivent quant à eux donner l'exemple et enraciner chez leur public le sens du sacré. Il ne faut non plus se montrer indulgents à l'encontre des profanateurs et sévir le plus rigoureusement possible contre l'atteinte aux symboles saints. Les enseignants des écoles et des lycées ont aussi leur rôle à jouer pour ancrer les hautes valeurs morales dans l'esprit des jeunes générations. Malheureusement, beaucoup d'entre eux ne font de l'enseignement qu'un gagne-pain et font passer le salaire devant leur mission éducative "
Nouvelle Valeurs Le professeur d'éducation religieuse admet qu'au sein des enseignants de sa matière, on compte de plus en plus d'enseignants pour qui la transmission des hautes valeurs spirituelles constitue un souci mineur, ou ne figure même pas parmi leurs objectifs d'éducateurs. " Il y a d'autre part le fait qu'aujourd'hui le sacré porte d'autres noms : les nouvelles valeurs mettent au premier plan la réussite sociale, le pragmatisme et même le machiavélisme. Il faut selon ces critères parvenir à ses fins par tous les moyens quitte à profaner ou à bafouer ce qui naguère était sacré ! "
Nuançons les choses Le point de vue de l'avocat rejoint en partie les deux opinions précédentes dans la mesure où le maître met l'accent sur le rôle de l'éducation dans l'enracinement des valeurs sacrées : " il faut, dès la première enfance, inculquer à sa progéniture le respect des choses saintes et des hautes valeurs. Vouloir le faire après l'âge de 5 ou 6 ans, c'est parfois tardif et vain. Parce qu'il y a l'influence de la vie en société qui intervient par la suite avec d'autres paramètres pas toujours conformes, du point de vue moral, aux principes de la bonne éducation. L'indigence, le chômage et certains vices poussent aussi les individus à porter atteinte aux bonnes mœurs et aux choses sacrées. Mais en Tunisie, on ne doit pas parler de profanation des lieux saints : ce que l'on constate dans les cimetières par exemple ce sont plutôt des actes de vandalisme. Ceux qui profèrent des propos blasphématoires le font rarement dans l'intention de braver la morale religieuse. C'est tantôt sous l'effet de l'alcool, tantôt sous celui de la colère mais jamais vraiment contre l'Islam et ses préceptes. Même ceux qui commettent des larcins à l'intérieur des mosquées subissent en fait des tentations tout à fait étrangères à la foi et à la morale : ils convoitent simplement un bien quelconque qu'ils n'ont pas et qu'ils auraient volé de toute façon dans un lieu de culte ou ailleurs. Nous devons donc nuancer les choses, mais pas au point de tolérer de tels actes immoraux. Cela dit, je déplore que, de nos jours, le sens moral ne soit plus aussi fort qu'il l'était autrefois et que les faux-dévots et les tartufes de tous horizons déclassent les vertueux authentiques. " Propos recueillis par B.B.H. -------------------------------------- Que préconise la loi ? En ce qui concerne l'atteinte à la morale publique et les propos blasphématoires, le contrevenant peut encourir, si le délit est irréfutablement prouvé, une peine de prison de 6 mois. Dans d'autres cas, il est appelé à payer une contravention. Pour ce qui est de l'obstruction à la pratique religieuse, elle est citée aux articles 165 et 166 du Code Pénal et coûte à son auteur entre 3 et 6 mois de prison ferme. La profanation des cimetières et les actes criminels visant ces lieux sont punis par une peine qui varie entre 6 mois et 2 ans de prison selon les articles 167, 168, 169 et 170 du Code Pénal.