Par Bady Ben Naceur D'abord, a-t-on idée de fixer des dates à la va-vite, pour s'apercevoir ensuite qu'il était encore tôt de l'avoir fait? Je pense, notamment, à celle de la Constituante le 23 octobre prochain et au faible taux de participation des citoyens tunisiens qui voteront. Pourquoi ne pas attendre encore même six mois afin que les choses soient plus claires et qu'il n'y ait plus de rivalités aussi grandes et aussi ruineuses pour la marche constructive du mouvement révolutionnaire? Faut-il rappeler que depuis sept mois, l'hémorragie des partis—une centaine, avec leurs voix discordantes et dont nous ignorons beaucoup de leurs programmes—! a donné lieu à des situations malsaines et dangereuses, dans le champ social. Certaines s'éloignant aussi des intêrets d'objectifs que l'on s'était assignés dès le départ, à travers un gouvernement transitoire et une instance capable de veiller à l'évolution de cette révolution. Ce qui marque plutôt la situation actuelle, c'est celle des espoirs-désespoirs que vit le citoyen tunisien qui, bien que fourmillant de vie et d'espoir enfin retrouvé, après une longue hibernation, n'en désespère pas moins face aux agitations et aux malversation de toutes sortes, et de constater que cette révolution, au train où vont les choses, va peut-être lui passer sous le nez, comme ce fut le cas avec le tyran d'hier, et même avec son prédécesseur qui nous avait offert une Indépendance truffée de mauvaises intentions. Le problème, avec ce nouvel événement-avènement, c'est qu'il pourrait être récupéré, comme un gâteau tout chaud, bien cuit, par des groupuscules divisibles et multipliables à l'envi. Les uns communiquant leurs desiderata dans le champ social, économique et politique, mais parfois, sans discernement réel; les autres sans culture politique et citoyenne. Plutôt des réactionnaires et des pervertis se contentant de revenir encore aux sources mythiques et religieuses d'un autre temps. Sources faites de thèses fallacieuses et obscurantistes à plus d'un égard. Avant-hier soir, j'entendais, parmi des choses constructives à la «télé-urne» (déjà!), quelques âneries, comme celle-ci : «Le peuple? Il n'a aucune culture! Comment allons-nous faire pour l'éduquer et lui donner une idée des programmes pour qu'il puisse voter? Surtout avec autant de partis!» Si ces propos contiennent quelques vérités, ils n'en demeurent pas moins faux si l'on se place sur le plan de la culture en général et dans son sens le plus large. Car il s'agit moins d'instruction que de connaissances pratiques héritées depuis des siècles, voire des millénaires. Et puis, les Tunisiens ne sont pas tous des analphabètes, loin de là. On peut d'ailleurs vérifier ces propos selon les statistiques nationales qui affirment que les Tunisiens sont assurément les plus alphabétisés dans le monde arabe et même en Afrique, pour ne citer que ce continent. En plus, les Tunisiens savent faire la différence entre une dictature et un Etat démocratique. Leurs expériences dans ce domaine comme dans celui de la vie courante les ont, en quelque sorte, immunisés contre les maux qui viennent à surgir dans leur existence et à réagir promptement face aux agissements et tentatives de démesure... Le dictateur déchu, par ses malversations sans fin, leur aura montré la voie. Et je pense qu'ils sauront, le moment venu, faire la différence entre le bon grain et l'ivraie, lors des prochaines élections, notamment. Donc, je trouve que la généralisation de tels propos est une véritable insulte à l'endroit de la population tunisienne qui est à l'origine de cette inespérée révolution. Aujourd'hui, la volonté générale est dans l'errance, elle se cherche encore et elle se retrouvera assurément, d'une manière ou d'une autre. Jean-Jacques Rousseau, dans Le Contrat Social (Chap. III) dit ceci : «Il s'ensuit de ce qui précède que la volonté générale est toujours droite et tend toujours à l'utilité publique, mais il ne s'ensuit pas que les délibérations du peuple aient toujours la même rectitude». C'est en cela sans doute qu'avec le législateur qu'il faut aider ou corriger dans sa démarche. Et Rousseau d'ajouter : «On veut toujours son bien, mais on ne le voit pas toujours ; jamais on ne corrompt le peuple, mais souvent on le trompe, et c'est alors seulement qu'il paraît vouloir ce qui est mal».