Par Mohamed Sadok LEJRI* Félicitations messieurs les intégristes, la justice tunisienne vient de frapper d'interdiction les sites pornographiques‑! Toutes mes félicitations, je suis content pour vous. Mais qu'allons-nous faire de tous ces voyous qui enfreignent, quotidiennement, la loi au grand dam des honnêtes citoyens qui nourrissent (ou qui nourrissaient devrais-je dire) tant d'espoir étant donné que notre «Al Capone national» a pris la poudre d'escampette ? Qu'allons-nous faire des gros bonnets de l'ancien régime qui ont entraîné la Tunisie au bord de l'abîme et que les juges, de par leur pusillanimité (et c'est le moins qu'on puisse dire), appréhendent de les voir faire connaître au peuple certains faits‑? La Tunisie de demain s'annonce moraliste. Un groupe d'avocats islamistes est en train de prendre en main la justice tunisienne, en mettant en avant des préceptes moraux et des prescriptions religieuses. Le but est de mener, à terme, les Tunisiens et a fortiori les Tunisiennes à la baguette. Et ceci n'est pas une vue de l'esprit, comme nous le verrons plus bas s'agissant du cas de Nadia El Fani. Si nous adoptions un raisonnement téléologique, nous serions tentés de dire que la finalité de leur dessein n'est guère sans rapport avec une certaine vision, étroite et bornée, de la religion. Par le truchement de décisions judiciaires de cet acabit (censure des sites pornographiques), ces avocats islamistes entreprennent la première phase de leur projet rétrograde. Le plus affligeant, c'est que cela se produit avec la complicité de nos juges. En effet, ces derniers sont de connivence avec les avocats susmentionnés. Pour censurer les sites pornographiques, on invoque, bien évidemment, l'identité arabo-musulmane de la Tunisie. D'ailleurs, dès lors que l'on invoque celle-ci, c'est toujours pour interdire quelque chose. Comme chacun le sait, en Tunisie, le pouvoir judiciaire ne brillait pas par son indépendance. Certains juges ont participé à des sentences et des actes répréhensibles. Ils essayent, donc, de se «refaire une virginité». Et pour ne pas s'attirer les foudres des bigots, ils les ménagent et les caressent dans le sens du poil de leur barbe trop fournie. Nos juges savent que ces derniers sont coriaces. Finalement, ils essayent de gagner la sympathie des plus conservateurs. Ils font de la pseudo-morale et flattent les bas instincts, au lieu d'indemniser les familles des victimes et d'incarcérer les bandits qui courent les rues. Rien n'est mieux qu'un peu de conformisme pour gagner la sympathie de la masse. Nos juges contribuent, de facto, à la création d'une Tunisie pudibonde. Le dédommagement des pertes et du préjudice causé aux victimes de la révolution‑? Eh bien, ça sera pour plus tard ! Ainsi, nos juges renvoient aux calendes grecques cette mission sacrée qui leur a été confiée par le peuple. Ils préfèrent séduire les conservateurs. En interdisant les sites pornographiques, ils décident à la place des Tunisiens de ce qu'ils doivent regarder sur Internet, plutôt que de s'employer à rendre justice aux martyr(e)s de la révolution et aux victimes du comportement usurpateur qui sévit depuis quelque temps en Tunisie. Je tiens à préciser que je ne suis pas un fan de pornographie. Loin s'en faut. Le genre pornographique, bien qu'il soit instructif à bien des égards, est franchement à l'antipode de l'idée que je me fais de la dignité de la femme. Cependant, ce que je ne puis accepter, c'est que des individus, hommes de loi ou pas, puissent choisir pour moi ce que je dois et ce que je ne dois pas regarder, chez moi, devant mon écran d'ordinateur. C'est une question de principe comme dirait l'autre. D'autant plus que cette initiative liberticide émane d'avocats qui, ont déjà fait connaître leurs intentions, en s'acharnant sur Nadia El Fani. Rappelez-vous que, conséquemment à un malentendu, cette «diablesse» a été condamnée moralement par un très grand nombre de Tunisiens suite à la projection de son documentaire «Ni Allah, ni maître» au cinéma «Africart». Et malgré cela, ces avocats islamistes, que j'ai surnommés «affectueusement» les «chevaliers du fiel», sont revenus à la charge. Ils brûlent, jusqu'à maintenant, de la condamner judiciairement pour en faire un exemple et dissuader, ainsi, de s'exprimer librement, tous ceux et toutes celles qui partagent les réserves de Nadia El Fani, quant au divin. Cette réalisatrice est déjà «calcinée» cinématographiquement, en Tunisie. Et en dépit de tout cela, les «chevaliers du barreau» reviennent toujours à la charge et n'hésitent pas à déverser tout leur fiel et leur rancœur sur une femme très malade («bil mardh limchoum»), sans défense et quasiment seule. De surcroît, cela nous montre dans quel état d'esprit se trouvent nos «chevaliers» : un esprit aigri et réac. Ils sont loin d'incarner la noblesse de cœur. C'est bien beau ! Me diriez-vous que de faire l'apologie de la liberté et d'être contre l'interdiction des sites pornographiques, alors qu'aucun parent ne souhaiterait voir son enfant accéder à des sites de ce genre. Soit ! Cela est tout à fait normal. Et si j'étais dans son cas, j'adopterais la même position. Toujours est-il que les parents pourront toujours s'adresser au fournisseur d'accès et lui demander de filtrer les pages web, afin d'entraver le passage des sites à caractère pornographique comme cela s'effectue dans les pays où le mot liberté a un sens. Bon, il y aura toujours le fameux proxi (non sans nous rappeler, l'«ère du changement», en l'occurrence), mais ceci est une autre paire de manches. Il y a quelques semaines, via Internet, un homme a réclamé son droit au viol puis s'est «corrigé» en demandant un allègement de peine en cas de viol sur femme non voilée. La faute étant, selon lui, partagée. Que firent, selon vous, nos vaillants juges et avocats ? Ils se réfugièrent dans un judicieux silence, comme si de rien n'était : la justice n'était qu'aveugle, grâce à eux, elle est aujourd'hui muette. Ainsi, nos vaillants ajoutent, à la noble cécité de la justice, la grandeur de son silence. Courage messieurs, plus que trois sens à ôter et vous serez dignes de la justice tunisienne ! Vous aurez alors réussi votre œuvre. Cela explique pourquoi on en vient à croire qu'en Tunisie, aujourd'hui, la justice interdit les sites pornographiques sur Internet et laisse le champ libre à ceux qui font des appels au viol. Donc, ceux qui ne cessent de débiter des discours haineux, et qui profèrent des menaces de mort à tout-va, demeurent impunis. C'est joli, non ? Les sites qui appellent à la lutte armée, au djihadisme, pour faire triompher le fanatisme et imposer la cause des obscrurantistes, ne sont pas censurés. Il en est de même pour ceux qui prodiguent des enseignements relatifs à l'usage d'armes à feu et de matières explosives. Une justice moraliste est une menace pour la démocratie qui, en Tunisie, n'en est qu'au stade embryonnaire. Et j'espère que nos barbus ne seront pas à l'origine d'une IVG. Finalement, nos juges sont d'une moralité confondante. Leur équité et leur justice les poussent à préserver notre regard candide de ceux qui ont tiré un coup (ou plusieurs pour les plus pervers). Sniper ou plombier polonais, nous ne verrons ni l'un ni l'autre. Gloire à notre justice ! La justice tunisienne n'était pas aveuglé. Nos juges ont décidé d'y remédier et, en guise de soutien, j'aimerais leur dire : bandez messieurs, bandez les yeux de la justice, elle n'en a que trop vu !