On dit que c'est à une judicieuse comtesse italienne que l'on doit la création de la ville européenne de Tunis. Celle-ci, des années durant, récupéra les décharges de la ville, et à partir de Bab Bhar, ou la porte de la mer, combla peu à peu ce qui n'était que marécages. Est-ce à cause de ce passé peu glorieux que la cité en dehors des murs intéressa si peu les chercheurs et les historiens ? Il est vrai qu'il était difficile de rivaliser avec les somptueux palais de la Médina, et les monuments civils et religieux grandioses qui l'émaillaient. Il était tout aussi vrai que ce dédain était injuste, et que la ville «moderne» présentait une variété de style, une diversité architecturale qui méritait qu'on s'y penche. Aussi, l'ouvrage que viennent de publier conjointement les éditions Elyzad en Tunisie, et René Clair en France est-il à signaler. Quatre chercheurs nous invitent à la découverte de ce Tunis «hors les murs», qui se développa de 1860 à 1960, et qui, justement parce qu'il n'était pas frappé du sceau de la noblesse, a eu la liberté de se diversifier, d'adopter toutes les modes, d'assimiler toutes les influences. Art nouveau, art déco, éclectisme, arabisance, modernisme, Tunis est multiple, et se laisse séduire par tous ces styles, les absorbant et les harmonisant. Reunis par le laboratoire de recherche rattaché à l'Institut National de l'Histoire de l'Art à Paris, quatre chercheurs, deux Tunisiens, deux Européens sont partis à la rencontre de la ville, regards croisés sur une architecture coloniale. C'est avec rigueur et précision que Leïla Ammar raconte «Le Tunis 1860-1880‑:la naissance de la ville neuve, et de nouvelles formes d'architecture». Christophe Giudice nous entraîne à la «découverte architecturale et urbanistique du Tunis colonial». Ahmed Zaouche, dont la connaissance de la cité ferait pâlir les plus érudits, qui en détient tous les codes et toutes les clés, a choisi d'étudier«L'aventure arabisante en Tunisie de la fin du 19e siècle à la Reconstruction». Cependant qu'Ettore Sessa évoquera, bien sûr, «l'architecture des Italiens à l'époque du protectorat français». Des promenades architecturales nous sont proposées, balisant la ville au gré des différents styles, promenades dans le Tunis art nouveau, ou le Tunis moderniste, au gré de vos souhaits. Des circuits sont proposés, et l'on vous raconte, dans une jolie familiarité, l'histoire du propriétaire de la demeure, et celle de l'architecte, celle des circonstances de sa construction, et ses mutations. Truffé de détails sur ces demeures auxquelles on a su donner une âme, ce livre va bien au-delà du simple intérêt architectural, c'est tout juste si on ne vous en offre pas la clef, vous invitant à y pénétrer. C'est du moins l'impression que l'on vous en donne. Mais la rigueur scientifique est sans failles, et chaque promenade proposée s'accompagne de cartes, de plans des bâtiments et de leur localisation, ainsi que de photos d'archives et de photos contemporaines. Un fonds d'archives exceptionnel, puisé à la mairie de Tunis, mais aussi dans les bibliothèques privées qui recélaient quelquefois des trésors ignorés. Un seul photographe a travaillé sur ce livre, Arnaud du Boistesselin, voleur d'images impénitent qui n'hésitait pas à forcer parfois la porte de propriétaires farouches, que lui seul parvenait à convaincre, et dont le regard unifie l'ensemble. Ce livre est en fait un plaidoyer pour demander aux Tunisiens de récuperer et préserver cette architecture. Pour les convaincre de se réapproprier ce patrimoine tunisien de grande richesse et de belle diversité