En vérité, la question qu'il faudrait se poser est la suivante: que restera-t-il des Festivals de la Médina, manifestations répandues désormais à tous les coins de la République ? L'autre jour, nous nous sommes même demandé si, après la création d'un festival du quartier de La Fayette, on n'irait pas un de ces étés ou un de ces Ramadans, jusqu'à consacrer à chaque rue, ruelle et cul-de-sac leurs festivals propres ! Une telle prolifération, un tel pullulement sont propres à choquer dans la mesure où, en toute chose, le surnombre nuit à la qualité. D'autre part, on finit par émettre quelques doutes sur la vraie portée de ce choix et par se demander si l'objectif visé, l'unique en fait (les autres ne seraient alors que des prétextes), n'est pas en définitive d'animer, ou plutôt de ranimer économiquement divers secteurs de la vie de la cité, habituellement improductifs la nuit. Dans une société de consommation à l'occidentale, on conçoit difficilement en effet, qu'une journée de 24 heures ne soit rentable qu'à moitié. La logique implacable de ce système s'applique bien évidemment aux activités culturelles programmées dans une ville ou un pays. Celles-ci doivent à leur tour rapporter de l'argent à plus d'un bénéficiaire. Le profit intellectuel et artistique est souvent relégué au second plan, dans ce cas. Bilan peu flatteur Pour en revenir au Festival de la Médina de Tunis, qui touche à sa fin, on ne peut pas dire qu'il a réalisé un succès retentissant. Quelques soirées mémorables ont drainé la foule : il s'agit de trois ou quatre concerts musicaux donnés au Théâtre municipal, autrement dit au cœur de la partie urbaine la plus européenne de la capitale. Avouons que, pour un Festival de la Médina qui ambitionne de ramener du monde à la vieille cité hafside, dont on a pourtant réaménagé et embelli les ruelles, ce n'est pas un motif de fierté, ni un indice flatteur sur la pertinence de la programmation. Les autres spectacles, d'une excellente qualité parfois, n'ont suscité qu'un intérêt très relatif de la part du public. Autre constatation amère: les grands absents sont les intellectuels de la cité. Pas un poète, pas même ceux dont on a chanté les paroles, presqu'aucun cinéaste, peu d'écrivains, d'acteurs, de peintres, d'enseignants universitaires, de professeurs du secondaire, d'instituteurs. Les journalistes eux-mêmes se firent plutôt rares après Carthage. Tout ce monde devait pourtant figurer aux premiers rangs des espaces où se tiennent les festivals de l'été et suivre les grandes manifestations culturelles réparties sur l'année. On n'oubliera pas non plus que l'édition de 2010, année internationale de la jeunesse, n'est pas parvenue à intéresser les moins de 25 ans. Le concert de Cherifa Luna, chanteuse adulée par les adolescents du monde, fut un bide quasi-total. Il n'a peut-être pas bénéficié d'une médiatisation suffisante. Sans doute aussi l'a-t-on programmé de manière précipitée et irréfléchie, juste pour avoir au menu du festival une soirée commémorative de l'année de la jeunesse. Mais cela n'explique pas tout : on s'attache peut-être excessivement à la vocation nostalgique du Festival de la Médina jusqu'à en oublier de penser aux futures générations à qui sera confiée la responsabilité, o combien lourde, de préserver le patrimoine des ancêtres et la Médina en premier. D'autres soucis Sur ce plan, justement, les organisateurs et le ministère de tutelle ont encore beaucoup à faire pour garantir la pérennité de ce legs si précieux. D'ailleurs, même les «vieux» manquèrent souvent à l'appel lors de cette session. On n'en pas vu des masses au palais Kheireddine, à Bir Lahjar ni le soir de la «kharja issaouiyya». Ce ne sont tout de même pas les tarifs modestes des spectacles programmés à l'intérieur de la Médina qui ont rebuté ce public. Il doit y avoir d'autres raisons inhérentes d'abord à la Médina elle-même, et abritant peu d'espaces culturels «frais» pendant l'été. La concurrence des programmes télévisés n'est pas à négliger en ce mois du jeûne où les feuilletons de la soirée retiennent chez eux pendant près de 4 heures (sinon plus) les jeunes et les moins jeunes. Le reste de la population tunisoise est attiré par les sorties en banlieue et par l'ambiance très détendue des terrasses de cafés. La gent féminine qui ne garde pas la maison fréquente, en plus grand nombre et plus régulièrement que ces dernières années, les magasins et les centres commerciaux. Il faut dire que lorsqu'on autorise l'ouverture de ces locaux dès les premiers soirs de Ramadan, on ne doit pas s'attendre à ce que cela profite aussi aux manifestations culturelles concomitantes. Pour récupérer les boudeurs du Festival Que faire pour récupérer une partie des boudeurs du Festival? La solution est à trouver sur plusieurs années, en «sacrifiant» peut-être une ou deux générations, qui sait ? Parce que la désaffection des espaces culturels n'est pas propre au Festival de la Médina. Nos salles de cinéma se raréfient dangereusement, les maisons de la culture sont de plus en plus désertées, les bibliothèques accueillent de moins en moins de lecteurs même parmi la population des élèves, des étudiants et des chercheurs. Le théâtre ne séduit désormais que s'il satisfait n'importe comment ce besoin trop récurrent chez nous de «rigoler». Il reste quand même la musique ou plutôt le chant pour remplir de monde les salles de spectacles : c'est probablement pourquoi les concerts de ce genre se taillent la part du lion dans tous nos festivals. Encore faut-il, pour atteindre une bonne audience, céder aux goûts dominants lesquels, artistiquement parlant, tirent bien plus vers le bas que vers le haut ! En conséquence, il est peut-être le temps de ralentir le processus de démocratisation et de décentralisation des Festivals afin de se donner le temps de réfléchir sur la meilleure façon de redorer le blason de la culture et de l'art sous nos cieux. Le Festival de la Médina (à Tunis ou ailleurs) doit, concrètement et pas seulement dans ses principes généraux et dans les discours des organisateurs, réconcilier les Tunisiens avec les principaux lieux de leur mémoire collective qu'il importe de sauvegarder et en même temps d'intégrer dans la dynamique évolutive du pays. En restaurant les vieilles villes et en équipant leurs espaces culturels de tout le nécessaire pour un accueil agréable des visiteurs, on garantit davantage de chances à la réhabilitation effective des sites urbains traditionnels. Il faudrait aussi motiver le public des touristes en programmant des soirées conçues prioritairement à l'intention de nos hôtes. Par exemple, le «nouveau-né» ramadanesque, baptisé «Médina wa sah'riyyet» (Veillées dans La Médina, si l'on veut), première manifestation de son genre, soutenue en plus par le Festival de la Médina de Tunis, propose dans sa première édition (du 3 au 5 septembre courant) un menu culturel et gastronomique vraiment alléchant. On peut donc s'en inspirer ou carrément intégrer cette manifestation de 3 jours dans le programme plus vaste du Festival de la Médina. Quel avenir voulons-nous ? De toutes les manières, et pour laisser ouverte la porte des suggestions, il faudrait que le Festival de la Médina de Tunis soit conçu autrement. S'il faut doubler son budget, pourquoi s'y refuser ? Par ailleurs, la direction de la manifestation est appelée à s'ouvrir sur des compétences plus jeunes et plus inspirées, disons moins bureaucratiques aussi. Quant aux médias, on attend d'eux qu'ils contribuent à une réelle réhabilitation du bon goût en matière de musique, de théâtre, de cinéma et de littérature. La promotion de notre patrimoine culturel et historique fait également partie de leurs missions premières. Nous visons surtout la télévision et la radio dont l'audience est très large auprès des jeunes notamment. L'école a bien évidemment son rôle à jouer : c'est en son sein qu'on acquiert l'essentiel de sa formation culturelle générale. Si elle renonce à ce devoir ou n'en accomplit qu'une partie infime, ce n'est pas l'avenir des festivals seulement qu'il faut voir en noir, dans ce cas ; mais les lendemains de toute une nation promise pourtant aux meilleurs des sorts!