Par Mourad Guellaty Nouriel Roubini s'est de nouveau manifesté en mai 2011, alertant le microcosme financier sur la fragilité de la zone euro, appelée selon lui à disparaître si les gouvernements ne prenaient pas des décisions sans nuances pour une convergence réelle et totale de leurs politiques budgétaires. L'été, avec les menaces répétées des marchés financiers, lui donne raison. Cet économiste irano-américain est une sorte d'oracle pour certains et un oiseau de mauvais augure pour d'autres, qui l'ont surnommé "Mr Doom", pour ses prévisions jugées lugubres, mais finalement tellement exactes. Il est désormais craint et respecté quand il distille ses prédictions, depuis qu'en 2006, ayant anticipé le premier la crise des subprimes, avec son cortège de faillites, le monde, médusé, constatait, quelques mois après, que les dégâts de la triste réalité n'étaient que la reproduction des projections jugées chimériques, de cette désormais icône de la finance. Si Roubini a été le premier à s'affirmer dans le mode alarmiste, il n'était pas le seul. Aux USA, en Chine et en Europe, des voix s'élevaient pour reprendre le flambeau de la menace systémique qui pèse sur une planète finance, taxée de folle, depuis quelques décennies. Le crédit l'avait gangrénée, du niveau du simple particulier à celui des entreprises et des banques et enfin des Etats, désormais notés, dégradés, humiliés, tels de mauvais élèves dans une cour d'école. Jusqu'à ce jour maudit, pour les Américains, du 6 août 2011, et la dégradation de la note souveraine des USA par l'agence de notation Standard & Poor's (S&P) de AAA à AA+. Pour beaucoup, il s'agit d'une opération politicienne des républicains qui-semble-t-ils, ont des "accointances" avec S&P, pour mettre en difficulté Obama, à quelques mois des élections américaines, alors que pour d'autres, c'est une alerte supplémentaire, d'envergure celle-là, de la folle finance (la "financiarisation") qui a envahi tous les pores de l'économie et qui pourrait constituer à l'avenir une date historique : celle du déclin de l'empire américain. L'histoire économique de la Tunisie post-révolution s'inscrit dans ce contexte mondial dont chacun peut apprécier la fragilité, voire la dangerosité. Et nul ne pourra, désormais, ignorer dans son appréhension de la situation économique de notre pays, de son sauvetage, de son redressement et surtout de sa restructuration, ce contexte mondial particulièrement chahuté. Pour la simple et bonne raison, que nous sommes entrés de plain pied, comme la quasi-totalité de notre univers, depuis une quarantaine d'années, dans une économie planétaire, certains disent le "village planétaire" (Marshall McLuhan), caractérisée par l'interconnexion, principalement, des systèmes de communication, de production et de commercialisation. Bref revue de détail de cet environnement mondial : La dérive du libéralisme mondialisé vers la finance folle Deux chiffres pour illustrer ce titre : le PIB mondial est de l'ordre de 70 trillions de US $ alors que les mouvements financiers sont de l'ordre de 700 trillions, soit dix fois plus. Comment en est-on arrivé à cette situation de domination de la finance mondiale sur l'économie réelle ? Cela est dû à toute une série de raisons, liées au basculement de notre planète dans l'univers libéral mondialisé, dont on estime le point de départ avec le ralliement de la Chine et l'Inde, à savoir le tiers de l'humanité. Cette économie qui a séduit la planète met en œuvre un capitalisme porté par des moyens d'information et de communication (la médiatisation notamment) sans précédent, qui ont accentué le passage à l'ère post-industrielle et à l'émergence d'une formidable industrie du savoir. Le revers de la médaille a été la montée en puissance d'un capitalisme patrimonial, qui a donné naissance à des structures nouvelles comme les fonds de pension et les fonds d'investissement, exigeants à souhait, jusqu'à demander des retours sur investissements de 15% minimum. Pour y parvenir, les sociétés ont été obligées de recourir massivement à l'externalisation, qui a écrasé le pouvoir salarial et le pouvoir d'achat des classes moyennes, qui sont généralement les plus portées sur la consommation. De cette situation, il en est résulté une croissance anémiée, en dehors des pays émergents, les taux de croissance tournent autour de 1 à 2%, un monde vivant à crédit, avec des managers devenus souvent actionnaires des entreprises qu'ils dirigent et qui estiment plus rémunérateur d'investir dans l'économie financière que dans l'économie productive. Cette économie financière s'est développée au-delà du raisonnable, avec la multiplication des produits de couverture, adossés à des assurances de toutes sortes, devenant plus un espace de spéculation qu'une économie de création de richesses réelles. La spéculation financière a eu des périodes heureuses, jusqu'au moment où la raison a fini par l'emporter, et que les valeurs sur lesquelles portaient la spéculation (les valeurs d'Internet, les produits financiers, les matières premières, etc.) ont retrouvé des niveaux reflétant la réalité économique du moment et non des anticipations qui se sont révélées, in fine, hasardeuses. Dès lors, les valeurs se sont effondrées comme des châteaux de carte, et n'ont jamais pu retrouver leurs niveaux d'antan. En 2000 – 2001, et 2007-2008, les cours boursiers ont été divisés par deux au moins, et perdu jusqu'à 90% de leurs plus hauts niveaux, pour les valeurs technologiques. Ces pertes de valeurs ont été compensées, par le recours à l'emprunt pour les ménages, les entreprises et les banques. Mais, les bilans de ces dernières ont été impactés de manière dramatique par la fragilité des emprunteurs et surtout par leurs propres actifs, affectés par les crises d'internet et des subprimes. Le résultat est que non seulement il y a eu une perte de valeur à tous les niveaux de la chaîne économique, mais que, en plus, la croissance s'étant inscrite aux abonnés absents, les Etats ont été obligés "de mettre la main au pot" pour sauver des entreprises menacées de faillite, avec toutes les conséquences sur l'emploi. D'autant que les interconnexions nées de la mondialisation et du développement des autoroutes de l'information ont créé le risque systémique, dont l'évocation fait frémir les puissants de la planète. Ces crises à répétition, en l'absence de croissance, et dans la peur du "credit crunch" fatal (assèchement du crédit), ont conduit les Etats à s'endetter démesurément, donnant naissance à un effroi nouveau : qu'ils en arrivent à ne plus être en mesure d'honorer leurs engagements vis-à-vis de leurs prêteurs. Certes, les Etats ont le privilège de pouvoir disposer, c'est bien ce qui leur arrive en ce moment, de "l'arme fatale", mais arme à double tranchant tout de même : la planche à billets qui desserre l'étau de la dette mais fait courir le risque inflationniste. C'est dire que notre pays se trouve, actuellement, avec des difficultés intérieures multiples et un environnement international délabré, obligé que ce soit aux USA (la FED avec le "Quantitative easing" 1, 2 et 3) ou en Europe (la BCE qui s'adonne à un exercice qu'elle abhorre de rachat des obligations souveraines) de recourir à cette planche à billets, situation inédite depuis un long moment. D'autant que rien ne permet d'envisager dans les années qui suivent, une éclaircie sur le plan de la croissance, dont notre économie pourrait profiter. Finalement, et compte tenu de ce qui vient d'être rapidement décrit, nous devrions être particulièrement prudents, quant à l'estimation de la contribution internationale dans nos programmes de redressement économique, tant sur le plan des aides financières que de la capacité d'entraînement des croissances occidentales, qui ont plus de chances, dans les années qui viennent, de sombrer dans l'anémie que dans l'euphorie. Certes, nous continuerons à solliciter nos partenaires étrangers, mais nous devons surtout bâtir une économie qui tienne compte du génie de notre peuple et de notre volonté de construire un pays avec de nouvelles valeurs, qui s'appellent solidarité, effort, justice, maîtrise des deniers publics, gouvernance, etc.