Par Hédi BARAKET Que c'est un dur métier que d'être commentateur politique au temps des révolutions, des transitions, de toutes les ignorances et les incompréhensions… Le métier nécessite souvent d'expliquer l'inexplicable, de capter l'épars, de saisir le fortuit, de donner du sens au non-sens, de mettre de l'ordre dans le chaos, et presque toujours de gérer l'inédit et de lui trouver filiation dans le passé. Pourtant, ils étaient bien là, confrères débordant de leurs backgrounds ou politologues improvisés. Mobilisés depuis le 14 janvier, ils ont habité les studios et garni les plateaux, avec pour grande mission de faire œuvre utile d'éclairer l'opinion en gestation. Et l'opinion le leur a rendu en les adoptant, les affectionnant, les fidélisant, les évaluant, les critiquant, les rejetant… Certains ont brillé des feux de la rampe et constitué des têtes d'affiche de la révolution. D'autres se sont éclipsés avant temps… Mais qu'importe, tous devaient jouer le courage de leurs positions ou la faiblesse de leur neutralité et, en tout état de cause, courir le risque fort de leurs méprises et leurs fourvoiements. En démocratie, les fourvoiements politiques des analystes et des commentateurs défraient la chronique, pèsent sur le cours des choses mais sont corrigés à temps. Ici le vent en emporte bien trop souvent… Le constat nous est apparu dans toute sa brutalité à l'occasion d'un propos «ordinaire» diffusé sur les ondes d'une radio de la place connue pour être à grande audience et pour égayer les matins des femmes au foyer, des chauffeurs de taxis et des fonctionnaires au frais. Intervenant tous les midis, le commentateur de service sur cette radio n'a pas l'air d'ignorer l'immensité de sa tâche. Mais il lui arrive de glisser sur la pente des erreurs humaines ou alors des ententes et des jugements pressés. Expliquant le rejet opposé par une frange de l'opinion à des têtes de listes recrutées parmi des footballeurs à la retraite, notre commentateur sermonne texto: «Je ne comprends pas cette position ! SVP, trêve de doute et de suspicion… C'est simple : le peuple aime retrouver des gens de notoriété sur les listes électorales. Il préfère élire des figures qu'il connaît et en qui il a confiance… Et tant mieux s'il a confiance en un footballeur et puis quel mal y a-t-il à cela ?…» Une petite respiration, le temps de chercher l'argument fort, et notre commentateur s'enflamme, sort la thèse lourde et le grand jeu: «Voyez par exemple ce qui se passe sans complexe chez les grandes puissances. L'ex-Premier ministre britannique Tony Blair n'était autre qu'un ancien batteur dans un groupe de rock… Et puis, plus proche de nous, il y a cet autre Premier ministre, le Turc Erdogan… Lui aussi est un ancien footballeur !!!…» Le commentateur post-révolutionnaire de la radio grande audience n'en citera pas d'autres. Il laisse place à la musique et ne reviendra plus sur le sujet des hommes politiques, des batteurs et des footballeurs. Aucune réaction ne se fit entendre au bout du fil non plus. C'est cela la radio à grande audience au temps de la révolution ; une boîte magique qui résonne de qui elle veut. Sans commentaire, disons juste à notre commentateur qu'un simple clic lui aura permis de préciser à ses auditeurs que Tony Blair était guitariste du temps de l'université, qu'il est diplômé de droit, avocat de son état, et surtout qu'il revenait de huit ans d'expérience politique quand il a été élu dans son parti en 1983 et de 22 ans de maturité partisane quand il a été enfin élu Premier ministre… Quant au Turc Erdogan, c'est une toute autre histoire. Car même s'il est accueilli en rock star lors de son actuel Arab Spring Tour (au Caire, en Tunisie et en Libye), et qu'il a joué au foot, il y a longtemps dans sa jeunesse, il n'en revient pas moins d'études et d'une expérience politiques datant du milieu des années 70… Et puis no comment… Et que c'est un dur métier que d'être commentateur !