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Nécessité d'une école supérieure de science politique après la révolution
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 01 - 09 - 2011


Par Hatem M'RAD*
Qu'est-ce que la politique en Tunisie ? Tout depuis la Révolution. Qu'est-ce que la science politique dans ce même pays? Une misère. Où en est l'enseignement de la science politique comme discipline autonome ? Nulle part. Pas d'école de science politique veut dire pas de spécialistes en la matière, pas de production scientifique. Mais cela veut dire, surtout aujourd'hui, pas d'hommes politiques formés de manière adéquate en la matière, alors que les vocations et les carrières politiques se multiplient à une grande vitesse et ont pris une nouvelle dimension.
Même si on prend la science politique dans un sens large, c'est-à-dire comme une discipline comprenant à la fois la philosophie politique, l'histoire des idées politiques, les relations internationales, outre la science politique proprement dite, malgré les nuances existant entre ces orientations, son état est resté jusque-là peu évolué en Tunisie (tant par rapport au Maroc, où il y a tout de même une université privée de science politique, et à l'Algérie, que surtout par rapport à beaucoup de pays du Proche-Orient ayant quelques traditions en la matière, et alors même que la plupart de ces pays ont connu ou connaissent encore des conditions politiques similaires aux nôtres).
Quelles sont les raisons de cette fâcheuse absence d'un enseignement méthodique de la science politique durant les phases historiques autoritaires qu'a connues le pays (de Bourguiba à Ben Ali), dans un pays qui, pourtant, a toujours misé sur l'éducation des jeunes. Et quelles sont les solutions qui peuvent être envisagées en vue de susciter un nouveau sursaut de cette discipline?
Raisons de cet état
Il faut dire que la réussite ou l'absence de la science politique, comme de toute discipline, ne peut être liée à la réussite ou à la non-productivité de quelques politologues, mais à des problèmes structurels de fond qui dépassent les personnes, et qui nous paraissent être les suivants.
Absence de cadre et de structure :
Il n'y a en Tunisie aucun établissement d'enseignement propre à la science politique. Ni institut d'études politiques, ni faculté de science politique, ni école. La science politique est en Tunisie une discipline enseignée essentiellement dans les facultés de droit ou indirectement, à travers la philosophie ou la sociologie, dans les facultés des sciences humaines. Dans les facultés de droit, la place de la science politique reste fondamentalement marginale par rapport à celle du droit, outre le fait que les juristes ont tendance à privilégier dans leurs études politiques les aspects institutionnels et normatifs. La création même dans ces facultés-ci de licence, de mastère ou de doctorat en science politique est très mal ressentie tant par les professeurs de droit que par l'autorité de tutelle. Un des derniers ministres de l'enseignement supérieur de Ben Ali a cru bon de supprimer d'autorité, pour des raisons peu probantes, le doctorat de science politique qui était en vigueur à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis. Du coup, la faculté a été acculée à supprimer le mastère de science politique en 2008 (ouvert en 2001), devenu inutile, qui était pourtant apprécié par les étudiants, privant ainsi ces derniers d'un cursus universitaire supplémentaire. Autre témoignage : les membres des jurys de recrutement des enseignants en droit public et science politique, tous grades confondus, se trouvent en plein désarroi lorsqu'ils se trouvent confrontés à des candidats juristes présentant des travaux en science politique ou, pis encore, à des candidats diplômés en science politique des facultés étrangères, alors même que ces derniers candidats relèvent officiellement de la compétence de ces jurys. Résultat : beaucoup de ces derniers candidats ont été sacrifiés dans ces concours au profit des juristes, abstraction faite de leurs qualifications en science politique.
La dépendance des études politiques à l'égard des études juridiques est d'autant plus déroutante que d'habitude, c'est la politique qui conduit le jeu et qui décide, le droit se bornant à suivre, à trouver les moyens et à exécuter les finalités poursuivies par les pouvoirs politiques. Drôle d'inversion des rôles. Il faut dénoncer cette assimilation entre le juriste et l'homme politique, comme l'y invitait Emile Boutmy au XIXe siècle, un des fondateurs du prestigieux Institut d'études politiques de Paris. Le droit est proche certes de la politique, mais le juriste reste le juriste et l'homme politique reste l'homme politique. Deux formations différentes, deux vocations différentes, nécessitant deux enseignements différents.
Il n'y a pas encore de structures, d'unités de recherche et de laboratoires importants aptes à financer des recherches en science politique et réunissant les chercheurs en la matière ; pas de vie associative notable pour les chercheurs en science politique ; peu de rencontres entre politologues, qui travaillent malheureusement dans des vases clos et dans des directions multiples et opposées, et peu de colloques organisés ayant pour objet la science politique ; pas de revue spécialisée en science politique permettant de mettre à jour le nouveau savoir interne et international en la matière. Les politologues sont contraints d'écrire dans les revues de droit.
Tutelle politique pesante :
Il y a encore un contrôle pesant sur l'opinion et sur la liberté d'expression des élites ; un contrôle sur l'édition politique interne et internationale ; mainmise sur la presse politique ; contrôle rigide sur la vie associative en rapport avec des activités touchant de près ou de loin à la politique.
Peu d'études (articles scientifiques, mémoires, thèses, ouvrages) en Tunisie sur la science politique.
En moyenne, une thèse de science politique est soutenue tous les trois ou quatre ans en Tunisie. Et encore. Tandis que les ouvrages politiques très critiques sur la vie politique tunisienne étaient plutôt publiés en Europe, souvent par des Européens. Toutefois, il faut avouer que depuis quelques années, beaucoup d'ouvrages ont été écrits par d'anciens acteurs politiques du temps de Bourguiba sous forme de témoignage de leurs époques. Sans compter que la Révolution, comme elle a délié les langues, est en train d'inspirer des écrits et des œuvres politiques.
Le désintérêt des chercheurs et des étudiants à l'égard de la science politique en raison du contexte politique ambiant.
Toutes ces personnes se sont, avant la Révolution, délibérément détournées de la chose politique pour ne pas être traquées par l'autorité politique ou pour ne pas perdre espoir sur le plan professionnel en prenant des risques avec leur employeur, l'Etat, ou avec ses innombrables réseaux publics et privés.
Par quel moyen peut-on alors aujourd'hui tenter de faire sortir la science politique de cette léthargie institutionnelle ou structurelle dans laquelle elle vit depuis cinq décennies?
Le remède : la création d'un institut supérieur de science politique
Il faudrait s'engager à créer une prestigieuse école de science politique. Une telle école a une double vocation : elle permet d'abord de donner une formation basique en la matière aux futurs cadres politiques du pays, à l'intérieur des pouvoirs publics, ou aux membres des partis politiques et associations, ou encore à des journalistes politiques. Elle permet ensuite de former des politologues professionnels sachant manier l'analyse scientifique politique, dont le pays en a désormais grandement besoin.
L'ENA (Ecole nationale d'administration), elle, est trop attachée au volet administratif, elle ne donne pas de formation politique. Le haut fonctionnaire qui a été formé par l'ENA n'a jamais été formé pour devenir ministre ou pour exercer une fonction politique. D'ailleurs, le lobbyisme formé par les anciens de l'ENA, du temps de Ben Ali surtout,  était très malsain pour le pays. Les énarques se cooptaient en effet partout dans les hautes sphères de l'Etat, alors même que leur formation politique était loin d'être suffisante. D'ailleurs, beaucoup de nos énarques éprouvent le besoin de suivre un mastère en science politique dans les facultés de droit pour compléter leurs formations de base.
Mais la question qui se pose ici, sans trop rentrer dans les détails, est de savoir comment peut être organisé l'enseignement de la science politique dans cette école ?
On peut concevoir la formation des étudiants autour de trois volets ou de trois filières dans le cadre du système LMD en vigueur: une formation politique axée sur les aspects politiques et administratifs internes ; une formation politique axée sur le volet économique et financier ; et enfin une formation orientée vers les aspects internationaux et diplomatiques. Après l'obtention de la licence en science politique dans une de ces filières, les étudiants peuvent suivre des mastères différents en science politique selon les besoins. Enfin, il faudrait prévoir, comme dans les pays démocratiques, des doctorats en science politique, une agrégation et des concours propres pour le recrutement d'enseignants de science politique. Tous les pays démocratiques développés ont des facultés, des écoles ou des instituts de science politiques et des carrières universitaires liées à la science politique. Ces types d'écoles sont généralement placées tantôt sous la tutelle du ministère de l'Enseignement supérieur, tantôt sous celle du Premier ministère.
Les jeunes de l'après-révolution qui viennent nous voir à la faculté, et qui sont devenus d'un coup ostensiblement habités par la chose politique, sont très demandeurs d'une telle formation politique. Ne les privons pas d'une ambition politique légitime et d'une telle orientation universitaire. Donnons leur les moyens de leurs nouvelles vocations en phase avec l'esprit de la Révolution. Il y aura, à n'en pas douter, beaucoup d'emplois liés à la politique dans la Tunisie de demain.
La Tunisie d'aujourd'hui, et surtout son gouvernement et son ministère de l'Enseignement supérieur, ne peuvent plus continuer à mésestimer une discipline aussi capitale à la vie politique du pays et aussi nécessaire au développement de la qualité de son personnel politique et de ses dirigeants. L'ENA forme les cadres administratifs du pays, elle ne forme pas les cadres politiques. Il est temps que l'action politique soit conduite par des professionnels de la politique. Le pays a souffert après la révolution des atermoiements du Premier ministre technocrate Mohamed Ghannouchi, qui, non formé pour la lutte politique, n'a pu être tranchant en la matière. La vie politique du pays va se professionnaliser de proche en proche d'ici la fin de la phase transitoire et l'élection d'un président et d'un Parlement. Autrement, ne nous étonnons pas de voir surgir à la tête de l'Etat des Ben Ali ou des Trabelsi, c'est-à-dire des aberrations impolitiques. Ce sont les hommes politiques qui conduisent la nation et qui balisent son avenir. Le pays a besoin d'hommes politiques capables, ayant du discernement et le sens de l'Etat, et non pas seulement de technocrates désincarnés, plus doués dans le court terme, ou dans la gestion des crises techniques, que dans la résolution des crises politiques majeures ou le balisage de l'avenir. Désormais démocratique, la vie politique du pays sera beaucoup plus difficile à gérer pour les hommes politiques et les partis que dans les phases du simplisme autoritaire ou répressif d'hier. Tout le monde est convaincu maintenant de la misère de la qualité « politique » des collaborateurs de Ben Ali, plus à l'aise dans la répression que dans l'art de la négociation politique. Les plus compétents d'entre eux en la matière étaient, on s'en est vite aperçu, mal à l'aise dans leur rôle.
Il faut reconnaître qu'il y a en Tunisie des écoles, des facultés et des formations assurées pour le médecin, le fonctionnaire, l'avocat, le magistrat, l'archiviste, l'ingénieur, l'homme d'affaires, le banquier, le commerçant, l'enseignant, l'architecte, l'artiste, l'hôtelier, le journaliste, le soldat, le policier, le mécanicien, le chimiste, le physicien, l'électricien ou l'informaticien, il n'y en a aucune pour l'homme politique, qui pourtant doit commander tout le reste, garantir et prévoir l'exercice de toutes ces fonctions et surtout gérer le bien collectif de la nation. Ce qui est tout à fait aberrant.
Certes, la politique est une question de tempérament. On peut ne pas avoir de formation universitaire adéquate et avoir un bon profil politique, comme on peut être formé à la chose politique et ne pas avoir de sens politique. Mais une bonne formation en science politique réduit les risques de la « mal-décision ». Le brouillard n'est pas conseillé dans les fonctions politiques engageant les grands intérêts de la nation. La politique nécessite une méthode politique. La confusion politique qui règne depuis l'après-révolution ne s'explique pas seulement par le vide laissé par la dictature de Ben Ali, elle s'explique aussi sans doute par l'impréparation au jeu politique et par l'inculture politique de certains nouveaux acteurs politiques qui confondent politique et contestation.


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