L'été ne nous a pas permis sans doute de tenir les promesses d'avancées intellectuelle et politique de janvier. Il est fort probable que nous ayons sommeillé et paressé au soleil et à l'ombre et que notre rêve d'une société juste et solidaire se soit évaporé et même s'il perdure ce songe, il y a loin de la coupe aux lèvres, loin de la coupe aux lèvres vraiment. Mais voici un concentré de propositions pour un rétablissement du rêve pour une société où l'action serait l'alter ego du rêve. Nous appelions les lecteurs à sortir de la léthargie des années de plomb durant lesquelles on subissait l'effondrement tragique de nos pensées. On se sentait perdus et démembrés. Mais on était d'autant plus tolérants et solidaires avec nos voisins et amis, avec le reste du peuple. Souffrants, on était tous plus solidaires. On offrait gîte et couvert aux déshérités et de façon directe ou indirecte, on aidait à préparer une vie nouvelle. C'était une vraie sagesse de tenir au sens de résister. Le domaine qui n'a pas périclité, c' est celui des arts et des lettres mais surtout du théâtre. Les temples de la culture ont bien rempli leur rôle émancipateur et étaient souvent remplis surtout pour Familia et Tawfik Jebali. Comme ils ont crié nos plaintes et clamé nos hontes et nos désespoirs sur les planches en jouant des personnages pathétiques et vengeurs qui remuaient l'épée dans nos blessures. Qui ne se souvient de Jûnûn joué au Théâtre municipal et du Singe joué à El Teatro? Bien des œuvres phares qui ont joué un grand rôle dans notre prise de conscience de la condition humaine. Mais où sont donc passés l'esprit frondeur et la critique acide ? L'intelligence si aiguë de notre situation ? L' indifférence est le plus bas degré de la liberté d'après Descartes. Je dirais même que ce n'est pas une liberté du tout mais plutôt un des degrés de l'aliénation et l'indifférence c'est aussi le danger majeur pour l'avancée du pays ; c'est ce retrait mental, ce repli frileux sur la routine véhiculée par le slogan de la trilogie «métro boulot dodo.» qui nous tue ou nous éteint. Comment sortir de l'ornière de ce désintérêt et de cette méfiance envers ce qui est politique et militant ? Comment combler ce fossé entre les élites supposées clairvoyantes mais si compliquées dans leurs propos et ce peuple échaudé qui craint le retour de la dictature mais ne chercherait pas vraiment à s'y opposer? Le fossé est oublié par ceux qui parlementent et, par contre, les combinards et les extrémistes tiennent leurs propos démagogiques avec un certain succès même si les gens ne sont pas dupes et sont même beaucoup plus ouverts et résistants qu'on ne le croit. La raillerie et l'ironie faisaient mouche même avec le régime honni, alors elles seront bien utiles à notre bataille pour une société plus juste et solidaire... Les propos des uns et des autres n'étaient pas des plus apeurés. On plaisantait, on savait les choses, les abus (sans tout savoir )et le combat était mené, mine de rien, par les lazzi du peuple et des conversations entre amis mais aussi par les artistes les plus grands de la peinture, du cinéma et du théâtre, particulièrement les dramaturges de la scène. La force de la scène Comment les théâtres ont-ils préparé une vie nouvelle ? Ils ont porté la voix des sans-voix et leur succès national et international leur permettait de se protéger de la censure. Même la dernière pièce si contestataire et prémonitoire de Fadhel Jaïbi et Jalila Baccar a fait de la résistance et n'a pu être censurée. Cependant, le pouvoir considérait que ça n'allait pas plus loin que dans le cercle restreint des intellectuels et il laissait passer ( à tort de son point de vue, à raison pour nous donner de l'espoir). Mais la suite est fâcheuse car le public d'après la révolution se déplace encore moins qu'avant pour ces manifestations culturelles amples et revitalisantes. Quelle déception de ne plus trouver que quelques spectateurs au film clairvoyant et solide de Mourad Ben Cheikh «Plus jamais peur». Nous vivons une sorte de paralysie et ce n'est pourtant pas le moment de se terrer dans les maisons et de renouer avec la passivité mortifère. Nous sommes encore loin du but mais tout est possible avec un peu de lucidité et de courage. C'est le découragement et l'indifférence qui risquent de nous perdre . L'été a fait des ravages et décimé les rangs de ceux qui avaient résolument défait le dictateur. Les jeunes se sont repliés sur leurs examens et les loisirs de vacances. Il n'y a presque plus de communication même si des intrépides blogueurs et des militants ont lancé des forums et des journaux en ligne. Il ne faut pas être défaitiste. Mais on est loin de nos espérances et des forces exprimées par les mouvements de janvier. On peut se demander si les évènements n'ont pas été trop rapides pour ancrer la conscience sociale et politique. Nous n'aurions pas eu le temps de nous mettre en route, de réfléchir. Nous n'avons pas réussi un ancrage démocratique généralisé et , donc,nos conquêtes sont fragiles. Il y a des voix antidémocratiques qui sont aussi anti-féministes et anti-artistiques. Ils ne veulent pas qu'on s'amuse ni qu 'on se cultive. Ce sont les censeurs ou les obsessionnels de la crainte morale et de la sanction qui ont déjà eu recours aux menaces verbales et ont de la haine capable d'aller jusqu'aux atteintes physiques. Il faut pourtant bien apprendre à vivre ensemble avec nos différences. Affirmons la liberté de pensée ! Oui. Il est très important de promulguer des lois garantissant la libre expression et la liberté de conscience, la liberté d'association et de réunion dans le respect des différences, la liberté religieuse et politique. Il y a même des lois qui existent mais il faut les respecter, les diffuser, les mettre en pratique, les imprimer , les enseigner dans les écoles. L'école fondatrice des libertés et des devoirs C'est que dans les écoles il faut rétablir et l'ordre et la démocratie qui sont complémentaires. Il faut permettre l'exercice de la démocratie avec les procédures scolaires inscrites en début d'année. Garantir qu' on prendra enfin au sérieux les élections des délégués de classe en début d'année. C'est en prêchant l'exemple qu'on apprend à être libre. On a trop souvent bâclé des pratiques capitales et les enseignants ont la plus grande responsabilité cette année car il n'y aura qu' un mois devant nous pour inscrire la démocratie dans les faits pour les jeunes et les autres par les élections de délégués, par l'explication des élections et de ce qu' est une constitution. Par l'acceptation de la diversité et la pluralité. Espérons que cette nécessité sera rappelée par un texte adressé aux enseignants. Et ce sont les élèves eux-mêmes qui pourraient motiver leurs parents dans la période cruciale des élections.On a une jeunesse qui ne demande qu 'à s'épanouir mais dont le jugement n'est pas encore formé. Car des possibilités d'expression et d'engagement existent. Par contre, cette année, à côté des droits des élèves il faudra aussi sérieusement diffuser et recentrer les devoirs. Car on avait focalisé sur les droits dans l'absolu sans rappeler les devoirs de respect et de l' honnêteté dans le travail. Les relations parents — élèves — enseignants ont été faussées et perverties. L'un des premiers chantiers de diffusion de la démocratie et du sérieux au travail, c'est l'école. Vraiment la situation des enseignants est devenue intenable car l'ancien régime les avait exposés et sacrifiés sur l'autel de la dictature. C'est-à-dire, il n'y avait aucun lieu de défoulement que l'école ! Il est nécessaire de bien encadrer les élèves et rendre aux enseignants leur rôle éducateur et formateur de la citoyenneté et diffuseur de la culture. Les parents doivent être responsabilisés et ne plus faire pression sur les enseignants: tous doivent accepter la discipline et ce ne sera pas facile tellement les choses ont dégénéré. Soyons aux aguets pour reprendre le chemin d'une école réorganisée selon les principes de l'équité et la responsabilité, le chemin d'une société équitable ouverte et cultivée dans ces temples que devraient être les écoles et les maisons de la culture si bien nommées. L'école mène aux bibliothèques, aux théâtres et aux arts. Il y a fort à faire. On attendait beaucoup. Or, il y a «loin de la coupe aux lèvres». Il s'agit de revenir aux déontologies propres à chaque métier et de tenir, de résister, chacun dans sa sphère avec de plus en plus de compétence avec honnêteté et l'esprit critique sans oublier l'autocritique pour que chacun avance «dans la voie où le sort a voulu l'appeler». Que cela ne nous empêche pas de progresser et veillons à ne pas perdre notre âme..ne pas perdre notre élan vital, notre espérance.