Par Mohamed Salah Souissi 01- La première raison c'est qu'on m'a refusé ma candidature aux élections de l'Assemblée nationale constituante, sous prétexte qu'un candidat indépendant doit être dépendant. Allez comprendre quelque chose. Il aurait fallu me présenter dans une liste comprenant 8 candidats indépendants conformément au code électoral pour que ma candidature soit retenue. N'est-ce pas là une aberration? Un indépendant qui doit dépendre de sept autres candidats qui dépendent de lui et qui dépendent chacun l'un de l'autre, alors qu'ils ont des opinions politiques par définition différentes et indépendantes. Chose qui vous assomme et qui vous donne la nausée et le vertige. Des listes indépendantes uniquement par leur appellation et pour la forme. Il s'agit en fait de listes qui appartiennent à des formations ou à des partis qui ne veulent pas le déclarer pour avoir plus de chances de gagner un maximum de sièges. Une façon aussi d'exclure les vrais indépendants et de leur dire que vous n'avez ni le droit de vous exprimer, ni celui d'agir pour le bien des hommes et de votre pays. Et dire que nous avons fait une révolution ! 02- Ces élections ne vont pas aboutir à une instance représentative du peuple, étant donné tout simplement que la démocratie est faite pour des gens cultivés, suffisamment avertis, politiquement conscients, convaincus et libres de leurs choix et de leurs opinions. Et pour cela, il faut au départ avoir une tête, et surtout, et avant tout, un ventre plein et une vraie personnalité. Ce qui n'est pas le cas de la majorité des Tunisiens qui attendent d'avoir plutôt le pain bien avant d'avoir une démocratie qui n'a jamais coupé la faim. 03- La parité homme-femme est la preuve que la Constituante qu'on veut nous cuisiner ne sera pas une instance politique constituée de personnes choisies par rapport à leurs opinions et leur action politique, mais par rapport à leurs attributs sexuels. On a malheureusement oublié de réserver tant qu'on y est des sièges aux hermaphrodites, homosexuels et autres faciès et couleurs de peaux. A mon avis, c'est l'absurdité absolue, la plus inattendue et la plus imbattable de l'histoire de l'humanité. Je ne peux que m'en excuser auprès de toutes les femmes et de tous les hommes de la planète. 04- La présence de formations politiques ayant supporté le régime déchu et se réclamant ouvertement du droit de revenir à la politique. Une politique chère à leur bande et qui a conduit le pays à la catastrophe. C'est tout simplement une chose inadmissible ! A quoi bon une révolution ou toute cette agitation ? Quelqu'un l'a si bien dit : il aurait fallu attendre que le régime de Ben Ali termine son mandat tout à fait normalement. Chose qui a l'air de se confirmer et qui ne surprendra personne. Cela s'appelle étouffer l'embryon de notre révolution dans l'œuf. 05- La présence de partis s'autoproclamant défenseurs de la religion ne peut en aucun cas être de bon augure pour l'avenir politique d'une République. Les hommes peuvent avoir la religion de leur choix, mais cela n'est pas valable pour une structure sociale et publique quelconque. Pourquoi ne pas imposer dans ce cas une religion à un animal de compagnie, ou à une route ou à une administration? La politique ne peut être faite ou admise que lorsqu'elle se réfère exclusivement aux valeurs communes à tous les hommes. Ces valeurs sont la réalité, la raison et la logique. 06- Aucune formation candidate n'a osé déclarer qu'un pays ou un groupe d'individus ne peuvent s'identifier ou identifier leur formation par rapport à une religion précise, une culture ou une histoire ou une ethnie. Toutes ces valeurs sont et restent humaines et universelles, et ne peuvent être propriétés exclusives à l'un ou à l'autre des groupes. Bien au contraire, ces formations en font leur cheval de bataille A moins que cela ne soit fait uniquement pour se faire remarquer et se distinguer de façon purement folklorique. 07- Tout le monde le sait, et surtout les organisateurs des élections et les candidats que la démocratie est une compétition acharnée pour le pouvoir et que tous les moyens sont bons pour y aboutir ; et que le financement des partis pour leur y organisation et pour leur propagande est une énigme impossible à démêler ou à résoudre. Tout le monde sait aussi qu'ils n'ont pas tous les mêmes moyens, et qu'à la fin, c'est l'argent sale qui aura le dernier mot malheureusement, et que nous ne sortirons pas indemnes de l'auberge. 08- Que dire des slogans publicitaires, des surenchères et des propos mensongers méprisables, dégradants et gratuits qu'on ose tenir sur tous les supports médiatiques à coups de fortunes colossales dépensées sans aucun égard ne serait-ce à l'adresse de ceux qui vivent l'extrême pauvreté et la misère et qui ont versé leur sang et celui de leurs enfants dans l'espoir de s'en sortir. Des politiciens qui n'hésitent pas à nous vendre et à se vendre aux plus offrants, pourvu que cela leur assure une belle rente. Que peuvent-ils nous réserver de mieux que l'asservissement ? 09- Que dire aussi de ceux qui continuent à nous faire croire qu'ils peuvent mener une politique économique indépendante, propre à notre pays. Ont-ils oublié que nul ne peut faire de la politique indépendamment des lobbies étrangers, des investisseurs et des fournisseurs et des clients qui gèrent le monde à coups de dollars ou à coups de fusil, ou alors en fonction d'une alliance déclarée ou d'une crédibilité purement bancaire, capitaliste et immorale ? 10- Et tous ces partis qui ne font que partager les Tunisiens au lieu de les rassembler, tellement nombreux et tellement ils se ressemblent, qu'ils deviennent tous méconnaissables, à tel point qu'ils vous obligent en fin de compte à tirer une boule au hasard pour voter ou faire n'importe quoi, plutôt que de faire un vrai choix 11- L'Assemblée constituante qui sera élue ainsi ne sera ni reconnue ni acceptée par le peuple qui s'interroge déjà, doute et propose un référendum qui fixe les prérogatives de l'assemblée. Dès le départ, la cofinance n'a aucune chance de régner. 12- L'Assemblée élue ne peut résoudre aucun problème puisque les membres et les différents partis y compris les indépendants vont commencer un jeu de tractations et toutes sortes d'alliances possibles et impossibles qui ne peuvent que donner un spectacle de gabegie dont on a vu l'exemple et senti les prémices au sein de toutes nos formations politiques, syndicales ou professionnelles. 13- Je n'ai pas entendu jusqu'à ce jour un seul candida déclarer qu'il refusera toute augmentation de ses revenus ou tout autre avantage matériel, s'il est élu pour occuper un siège de représentant du peuple, ou qu'il est prêt à travailler, s'il le faut, bénévolement pour son pays. De quoi se demander si c'est leur pays qui les intéresse ou plutôt le pognon. 14- Personne non plus n'a promis un salaire décent à tout Tunisien en âge de travailler et n'ayant pas trouvé de travail. Personne n'a promis de réduire les écarts de salaires ou des revenus ou de limiter la propriété, pour garantir plus de justice sociale et d'équité. 15- Personne n'a eu le courage de prendre une position claire et d'en rendre compte à propos des relations internationales, concernant les marchés, les taxations, les prix, et les finances internationales, ou concernant les interventions et les engagements européens, américains, saoudiens ou iraniens ou qataris dans le monde ou dans la ligne politique de leurs partis, de peur de se découvrir ou de perdre des alliés même s'agissant du diable en personne. 16- Quant à la mentalité tunisienne n'en parlons pas. Elle n'est pas différente de celle de tous les peuples du tiers monde. Ils ne peuvent que courir et se bousculer pour leurs propres intérêts et pour les meilleurs profits et les plus immédiats, tellement ils n'ont aucune confiance en ce que leur réserve leur avenir à eux comme à leur progéniture 17- Une mentalité qui se traduit par la méfiance et les conflits, qui règne entre les individus, entre les divers groupes d'intérêt, entre les régions et les classes et les diverses composantes de la société et qui ne peut que pourrir de plus en plus l'ambiance et surtout celle de la politique qui se nourrit de la division. 18- Une mentalité qui se traduit aussi par le laisser aller, la nonchalance, la fuite en avant et toutes les formes de dérives d'indiscipline, d'incivilité et d'opportunisme. 19- Il n ya qu'à voir ce que notre chère révolution nous a apporté jusqu'à maintenant. Plus aucun sens de responsabilité. Plus aucun sens de respect pour autrui. Plus de travail, plus de croissance. La totale anarchie et la totale inconscience ; de quoi vous rendre déprimé et dégoûté. 20- Que dire de l'information et des organes d'information qui n'hésitent plus à prendre parti et à faire les éloges de certaines personnes ou de certaines formations politiques, sans aucun souci pour la déontologie. Leur unique moteur étant de vendre et de profiter. 21- Que dire aussi de ce malaise quasi constant dans toutes les composantes de la société qui ne cessent de tirer la couverture de leur côté, sans jamais trouver la satisfaction ou se contenter d'une situation ou d'un compromis et sans jamais se consacrer vraiment à l'action et à la progression. 22- L'avant-dernière raison n'est pas une seule raison mais une foule d'autres. Mais comme j'ai l'intention de n'en citer que 23 pour marquer une date qui ne me plaît pas, étant donné qu'elle me rappelle 23 ans de souffrances sous la dictature d'une pourriture dont l'odeur persiste toujours. Je termine avec la 23e 23- Une raison qui ne peut être qu'une note d'espoir, étant donné que ce que je cherche à travers tout cela, ce n'est ni plus ni moins, le bien de tous les Tunisiens dans l'univers complexe qu'ils affrontent, mais qui restera, malgré tout et toujours, à leur portée, s'ils votent librement blanc et pour ne pas donner à l'inconnu et au doute un chèque en blanc.