Il y a quatre ans, jour pour jour, le pianiste canadien Roger Lord donnait son premier concert en Tunisie. Il renouvelle ce rendez-vous avec le même public de l'Acropolium de Carthage, dans le cadre de l'Octobre musical. Pour résumer le parcours de ce virtuose, disons qu'il s'agit d'un enseignant universitaire au Canada. Son palmarès est, sans exagération, aussi prestigieux que les endroits où il s'est produit dans les cinq continents. C'est un invité privilégié des scènes mondiales et officielles de musique classique, ce qui ne l'empêche pas de faire preuve de grande humilité, comme ce fut le cas lors de la soirée du 27 octobre. «Rêve d'amour» est un spectacle dédié à la mémoire du grand compositeur hongrois Franz Liszt, à l'occasion de son deux centième anniversaire. Impressionné comme il l'est par ce maître, Lord a su choisir les mots pour le présenter. «Liszt a révolutionné la technique de jeu du piano», a-t-il expliqué à l'audience. «Liszt est le père de la technique pianistique moderne et du récital. Avec lui naissent l'impressionnisme au piano, le piano orchestral et le piano littéraire. Innovateur et promoteur de la «musique de l'avenir», Liszt influença et soutint plusieurs figures majeures du XIXe siècle musical», peut-on lire dans sa page Wikipedia. A l'acropolium de Carthage qui ne cessera jamais d'éblouir ses visiteurs de sa beauté, un musicien et un piano, aussi beaux «parleurs» l'un que l'autre, ont exécuté un programme minutieusement choisi. Doit-on réellement s'attarder sur la performance technique de Roger Lord? Son talent n'est plus à prouver. Il n'a fait que le confirmer de morceau en morceau. Le premier de la liste a été «Rêve d'amour», suivi de «Bénédiction de Dieu dans la solitude» et de «Funérailles», présentés en tant qu'«harmonies poétiques et religieuses». Lord explique que l'œuvre de Liszt est très marquée par l'inspiration religieuse et littéraire. L'histoire de «Méphisto-valse N°1» illustre cette rencontre entre la musique, la littérature et les symboles religieux: «Dans une auberge villageoise, un banquet de mariage a lieu avec musique, danses et libations. Méphistophélès, passant devant avec Faust, pousse celui-ci à participer aux festivités. Le diable attrape un fiddle (sorte de violon populaire) des mains d'un musicien endormi et en tire une étrange mélodie, séduisante et envoûtante. Amoureux, Faust tourbillonne dans la salle aux bras d'une belle et plutôt gironde villageoise dans une danse effrénée. S'abandonnant l'un et l'autre, ils valsent jusque dans la forêt. Le son du fiddle devient de plus en plus ténu, un rossignol entonnant une chanson emplie d'amour»... Liszt écrivait des histoires avec les notes de musique. Lord est un merveilleux conteur. La deuxième partie du concert a été consacrée à un volet important de la carrière de Franz Liszt, celui des transcriptions. Ces «adaptations d'une composition pour un instrument pour lequel elle n'a pas été écrite initialement», lui avaient permis de côtoyer, artistiquement, les plus grands. L'invité de l'Octobre musical a sélectionné «Widmung», transcription du lied de Schumann, «Ständchen» et «Ave Maria» de Schubert ainsi que «Rigoletto» de Verdi. Applaudi comme il se doit par un public conquis, Roger Lord a su envelopper son talent d'artiste dans un voile d'humanité. Il a raconté ses bons souvenirs dans les villes de la Tunisie où il a pu se déplacer en visite. Avec une telle ambiance, un rappel s'avère aussi naturel qu'un au revoir doux et plein d'émotion. Le morceau choisi était une vraie cerise sur le gâteau: «Le bananier», originaire de la Nouvelle-Orléans. Surprenant jusqu'au bout, ce Roger Lord. Un 27 octobre 2011, Tunis s'endort sous le bruit des klaxons, Sidi Bouzid est en feu. Et dans tout cela, l'Acropolium de Carthage ressemblait à une géante et magique boîte à musique. Il faut de tout pour faire une Tunisie, n'est-ce pas?