Le Pr Ouajdi Souilem est docteur en pharmacologie. Ce spécialiste des médicaments est donc bien placé pour proposer un traitement à notre université malade. Vice-recteur, élu, de l'Université de la Manouba, chargé de la formation, de la vie universitaire et l'innovation technologique, fait le diagnostic de l'université, énumère ses difficultés et au final, propose des réformes partant de sa position de haut responsable au sein de l'administration universitaire et d'enseignant. Etat des lieux... Les premiers symptômes de la maladie de l'université sont provoqués par l'absence de liberté académique et scientifique sous l'ancien régime, observe-t-il d'emblée. Cette absence de liberté allait de pair avec la politisation de l'espace universitaire et son instrumentalisation à des fins politiques. D'autres difficultés sont venues s'ajouter à une liste déjà longue pour affaiblir le système, ternir son image et le paralyser : telle la détérioration du niveau d'enseignement, conséquence automatique de l'explosion de l'effectif, ainsi que la baisse du niveau des bacheliers qui traînent leurs lacunes d'année en année jusqu'à l'obtention du master. Une « secondarisation » de l'enseignement supérieur Un nivellement par le bas, constate le Pr Souilem, a fait de l'université non pas un centre de savoir mais «un pourvoyeur de diplômes dénués parfois de la moindre valeur». En ajoutant qu'il y a eu comme une « secondarisation » de l'enseignement universitaire, avec l'instauration d'un droit à la pseudo-réussite qui mire avec un populisme mesquin et un climat de complaisance où le social et l'interventionnisme ont pris le dessus sur l'académique. Parallèlement à cela, l'université souffrait et souffre encore d'une faible connexion avec le monde économique et la société. Et pour tout arranger, le sentiment d'appartenance à la vie et l'espace universitaires sont souvent absents. Un diagnostic alarmant qui amène M.Souilem à parler de l'ancien régime et des torts qu'il a causés à l'université. «L'université ne joue plus le rôle d'ascenseur social qui est en panne mais participe au contraire à la fracture sociale» Une longue liste de défaillances dont l'ancien régime est directement responsable. Le système du 7 novembre a créé des filières riches et d'autres pauvres. Des étudiants réussissant avec des moyennes faibles, et issus de milieux défavorisés, vont le plus souvent se retrouver dans des sections de seconde zone. Toutefois, il ne faut pas généraliser, nuance-t-il, le niveau a été quelque peu préservé dans certains facultés, écoles et instituts, et notamment dans les études médicales, les cycles préparatoires et les branches d'ingéniorat. Et la gestion administrative dans tout ça ? Dans le domaine de la recherche scientifique, certes, les ressources financières ne manquent pas vraiment, mais l'administration bloque les processus de financement. Les enseignants responsables d'unités de recherche et de laboratoires ont du mal à les gérer. Pour financer un projet, regrette-t-il, les délais sont très longs à tel point que la plupart des projets n'aboutissent pas. La gestion administrative doit être au service de ce qui est pédagogique et académique et non pas l'inverse, dans la transparence et en évitant la corruption et les dérives. La fracture entre la recherche et l'enseignement représente une autre difficulté dont souffre notre université. Un enseignant pour évoluer doit s'investir dans l'activité de la recherche indispensable pour développer ses connaissances et les confronter avec d'autres expériences à l'échelle nationale et internationale. Comment s'étonner dans ces conditions de voir que certains enseignants, sont démissionnaires, l'université ayant perdu son attractivité et l'enseignant ses motivations. La situation est devenue telle que le professeur s'il n'enseigne pas dans le privé, ou ne s'implique pas dans une carrière administrative, politique ou dans les affaires, n'est pas respecté. Le professeur qui se contente d'enseigner en faisant bien son métier est raillé même par ses étudiants. « Les problèmes de l'université ne relèvent pas des universitaires uniquement, c'est une question complexe qui concerne toute la société » Durant près de deux décennies, l'université a failli à sa mission de pourvoyeuse de formation mais également de repères sociaux, elle était l'un des maillons d'un système erroné. Après le 14 janvier, l'ensemble du système universitaire s'est libéré d'un joug oppressant. Une reprise de confiance entre l'université, l'étudiant et l'environnement se profile, se réjouit le Pr Souilem. Ce nouveau climat a favorisé l'émergence de personnes hautement qualifiées qui occupent des postes de décision grâce uniquement à leurs compétences et aux programmes qu'elles défendent. L'enseignement de son côté, s'ouvre sur l'environnement international. Il faut savoir qu'actuellement, au niveau du référentiel international, l'enseignant est considéré comme facilitateur et non pas comme simple émetteur de l'information. C'est à l'étudiant d'acquérir la méthodologie et l'esprit critique pour analyser l'information, confronter les données et résoudre les problèmes. Dans un climat assaini, confie le Pr Souilem, ces nouvelles méthodes d'apprentissage sont désormais encouragées. Concevoir un système qui s'appuie sur la réalité tunisienne L'heure est aux consultations entre les différents intervenants du système universitaire. Les enseignants s'activent pour défendre l'autonomie académique et financière de l'université, « on ne veut plus d'instructions parachutées », précise le vice-recteur. Le système éducatif devra prendre pour point de départ la réalité tunisienne avec des objectifs nationaux, tout en tenant compte des exigences et références internationales. « Les visions de la Banque mondiale ou de l'Union européenne ne sont pas forcément les nôtres, tout au moins elles sont des propositions à débattre». Il faudra réformer le système universitaire par rapport à la vision que l'on porte sur l'avenir du pays et par rapport à nos moyens. De même, dit-il, nous avons essayé d'adapter l'université aux besoins de l'entreprise, alors qu'il faut inverser le schéma. Il faudra créer des entreprises par rapport aux besoins des régions et créer des cadres adaptés aux besoins de ces régions. Revaloriser la méritocratie Le ministère de l'Enseignement supérieur, de son côté, est en train d'organiser des forums et des réunions à grande échelle pour écouter les propositions de l'ensemble des intervenants du secteur, engager un véritable débat démocratique avec les étudiants, les universitaires, l'administration, ainsi qu'avec l'ensemble des partenaires socioéconomiques. Le but étant de redéfinir le rôle et la mission de l'université dans la transparence et l'équité. Ces valeurs, l'équité, la transparence, la méritocratie, seront avec le principe de concertation le socle pour asseoir les réformes, annonce le vice-recteur. Il faudra également développer un plan stratégique de communication entre les institutions et les différents services académiques en commençant par le décloisonnement entre les institutions et les universités elles-mêmes. S'ouvrir en intra, et développer des projets entre plusieurs institutions pour fédérer des programmes porteurs. La présidence de l'Université de la Manouba œuvre d'arrache- pied pour faciliter le travail des institutions et des enseignants pour atteindre les objectifs fixés, notamment suite aux processus électoraux qui se sont installés à tous les niveaux depuis le 14 janvier. Des commissions vont être mises en place pour traiter des problèmes, en contrepartie il y a obligation de résultats scientifiques et académiques. Seulement, prévient le Pr Souilem, pour que les réformes soient complètes, elles doivent être accompagnées nécessairement par des réformes de l'enseignement secondaire et primaire. C'est un enjeu qui concerne toute la société tunisienne pour redéfinir notre système éducatif dans le cadre d'un projet sociétal moderniste partant de nos besoins et adapté aux standards internationaux.