Dans un contexte politique nouveau, il ne faut pas s'attendre à ce que l'Université et la vie estudiantine continuent de fonctionner comme si de rien n'était. Le changement est d'autant plus prévisible que le milieu estudiantin, comme tout le reste, était, par le passé, sous l'emprise du régime, et que la révolution du 14 janvier a non seulement libéré mais aussi donné des ailes. En plus de cinquante ans d'indépendance de la Tunisie, l'enseignement supérieur est passé par plusieurs phases de réformes dans le but de s'aligner aux standards internationaux, comme le justifiaient leurs instigateurs. Les étudiants n'ont pas toujours accueilli ces réformes de gaieté de cœur. Le cas de l'adoption du système LMD est édifiant. Heureusement que la vie estudiantine ne se limite pas qu'aux cours, aux révisions et aux examens. Tous ou presque ont une seconde vie, parallèle, qu'ils consacrent aux activités culturelles, sportives ou encore associatives. Ceux qui habitent dans les foyers universitaires peuvent avoir accès, gratuitement, aux centres culturels et sportifs universitaires publics. Animés par des enseignants dans les disciplines artistiques et sportives, ces centres sont censés être ouverts sur le monde extérieur et fonctionner comme des espaces de création et d'échange. De nouveaux rapports étudiants-administration Depuis le déclenchement de la révolution du 14 janvier, l'activité culturelle et sportive est, faut-il le rappeler, au point mort. La rentrée universitaire 2011-2012 n'a rien changé au statu quo, les étudiants comme l'administration, y compris le ministère de l'Enseignement supérieur, sont préoccupés par les élections de l'Assemblée nationale constituante et la conjoncture sociale et économique du pays. Mais quelque chose de nouveau se profile à l'horizon et est évoqué dans les propos. «Nous sommes dans une période de mutation profonde. Un nouvel état d'esprit et un nouveau type de rapports sont en train de s'installer entre l'administration et l'étudiant. Avant le 14 janvier, l'administration universitaire et la police étaient considérées comme des ennemis par la communauté estudiantine. Aujourd'hui, les choses ont changé et ceux parmi les responsables qui n'ont pas encore compris que les rapports avec les étudiants ne sont plus verticaux feraient mieux de changer de métier», estime le directeur du centre culturel universitaire de l'Université de La Manouba, M. Mohsen Ben Nefissa, un homme de culture. «Nous voulons profiter de ce nouveau contexte de liberté pour diversifier les thèmes de nos activités et répondre aux attentes des étudiants. Pour cela, nous voudrions qu'ils soient plus impliqués dans la programmation des activités et la dynamisation des centres», indique à son tour M. Jamel Chérif, directeur du centre d'art dramatique et d'activités culturelles Houcine-Bouzayane, situé au cœur de Tunis. Ce sont là des ambitions claires et franchement exprimées sous forme d'appel aux étudiants à prendre des initiatives et à s'approprier les espaces culturels universitaires en devenant leurs véritables animateurs. Avec la vague d'espoirs née de la révolution, il y a conscience que des choses doivent changer, et d'autres évoluer. «A l'université de La Manouba, qui a un passé militant, c'est différent des autres institutions universitaires. Les étudiants accordent beaucoup d'importance au dialogue, aux rapports d'égal à égal avec les professeurs, l'administration et les responsables plus qu'à l'organisation d'une manifestation culturelle ou une excursion. Actuellement, par exemple, nos étudiants ne sont pas préoccupés par les activités culturelles et sportives, mais par les élections de la Constituante», explique M. Ben Nefissa. Après le 23 octobre alors? Peut-être. Car, pour cet homme de culture, qui assure mettre son expérience créatrice à la disposition de ces jeunes, le dossier de la culture dans le milieu universitaire n'a pas encore été ouvert. «C'est un domaine à construire totalement et au plus vite, du moins à La Manouba où, affirme-t-il, on n'y a jamais vraiment cru». Expériences à tenter L'implication des étudiants dans la dynamisation et l'animation du centre culturel universitaire est une expérience qui a été tentée au cours des deux dernières années, au centre universitaire d'animation culturelle et sportive de l'Université de Jendouba et les résultats semblent, selon la directrice du centre, conséquents. L'ennui et l'oisiveté qui règnent dans les villes et régions de l'intérieur du pays, comme Jendouba, pourraient expliquer ce succès. «Habituellement, le centre ne désemplit pas à longueur de semaine et de mois, les activités sont nombreuses et les habitués également, des étudiants de Jendouba (400 inscrits) et d'autres venant de Bulla Reggia, où ils n'ont pas d'autres distractions. Ce sont les étudiants eux-mêmes qui veillent à la bonne marche du centre et nos rapports sont basés sur le débat direct, la coordination et la concertation», déclare Mme Monia Bouslimi, directrice du centre de Jendouba, journaliste de formation. La responsable parle du centre avec fierté et pour cause : «Divers prix nationaux ont été décrochés par nos étudiants dans des compétitions artistiques universitaires; certains d'entre eux ont beaucoup de talent, ce sont de vrais musiciens, des peintres, des poètes; nous avons également beaucoup de plaisir à organiser des caravanes culturelles pour les zones rurales pauvres, comme celle de décembre 2010». Le centre compte 20 différents clubs d'activités artistiques, sportives, de secourisme, une radio interne et dispose d'une page Facebook que les étudiants ont, eux-mêmes, créée. Pour quel budget ? «La modeste somme de cinquante mille dinars, c'est peu mais on arrive à s'en sortir», affirme la directrice, qui soulève un autre problème, qu'elle estime plus urgent, à savoir l'exiguïté et l'emplacement du centre au sein même du foyer des filles, un emplacement qui gêne autant les locataires que les visiteurs, qui ont été nantis de badges, en attendant une solution plus radicale. Les centres de Jendouba et Houcine-Bouzayane proposent un grand nombre d'activités en clubs et en ateliers. Les travaux et créations des étudiants, tels que les recueils de poésie, les tableaux de peinture, les produits d'artisanat ou pièces de théâtre sont habituellement pris en charge par l'administration des centres pour leur promotion à l'échelle nationale et même internationale, à travers la participation à des festival, des expositions ou autres. A Jendouba, même le bizutage des tout nouveaux est prévu dans le programme de cette année, ainsi que la réalisation d'une fresque géante dans la ville même, comme celle que les étudiants ont réalisée l'an dernier, la première du genre mais en plus petite dimension, à l'intérieur de l'établissement universitaire. Le centre Houcine-Bouzayane a, lui, par ailleurs, la réputation d'être un grand centre de révisions très fréquenté par les étudiants studieux. Difficile de dialoguer avec des étudiants sur l'activité culturelle et sportive en cette période de campagne électorale. Le cœur n'y est pas et beaucoup d'autres problèmes préoccupent ces jeunes comme l'hébergement universitaire et la bourse trop modeste. Héla, étudiante en 3e année, regrette tout de même, pour sa part, qu'il n'y ait pas suffisamment d'étudiantes inscrites aux disciplines sportives. «J'aimerais pratiquer de l'aérobic pour décompresser, je suis trop stressée et angoissée par ce qui se passe, mais il n' y a pas de demandes du côté des filles, donc pas d'aérobic», déplore-t-elle. Difficile aussi de connaître les projets du ministère de l'Enseignement supérieur dans ce domaine! Le contact avec le département ministériel chargé des activités culturelles et sportives universitaires demeure infructueux, sans réponse: le responsable est en campagne électorale.