• Quelques motifs de fierté, mais beaucoup de failles dans le système et les hommes • Les vieilles pratiques de la mouchardise, de la corruption et des pistons pas encore bannies… Dans un autre temps, la Révolution ne se serait pas déclenchée sans les enseignants universitaires ni sans leurs étudiants. Celle qui a renversé Ben Ali n'eut pas pour « guides », des figures de l'élite du Supérieur dont une partie, malheureusement,- il s'agit plus particulièrement des signataires du fameux appel à une nouvelle candidature du président déchu- couvrit de déshonneur l'université tunisienne. Force est tout de même de reconnaître que celle-ci n'est pas tout à fait absente du processus qui a nourri, déclenché et soutenu jusqu'au bout le processus révolutionnaire. En effet, ce sont les 180.000 diplômés du Supérieur restés sans emploi qui, dans un fulgurant sursaut d'honneur et de dignité, donnèrent une suite cohérente au geste désespéré de Mohamed Bouazizi. Ils ouvrirent les yeux du peuple tunisien sur la faillite d'un système éducatif et celle, plus dramatique, d'un semblant de projet de société fondé sur la mystification et l'escroquerie. Personne ne se doutait de l'ampleur réelle du chômage des diplômés avant que ne se soulèvent dans tous les gouvernorats du pays ces dizaines de milliers de jeunes qui nous firent découvrir également l'horreur des abus népotistes sous Ben Ali et ses ministres. Des « héros » quand même ! Sur un autre plan, l'université tunisienne offrit une martyre à la Révolution : la jeune Maroua Amina, francisante de l'Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis! Ce n'est pas beaucoup, diraient les uns ; la défunte est morte accidentellement, rétorqueraient les autres ! C'est vrai, mais on oublie, parce que justement personne ne parlait d'eux, les dizaines d'étudiants jetés en prison pour leur activisme militant au sein des organisations estudiantines ou dans les partis et associations non reconnus. D'autres étaient traqués et très peu soutenus par leurs « camarades ». Ils durent galérer des mois sinon des années durant, manquèrent un examen ou deux et furent parfois forcés d'abandonner provisoirement ou définitivement les études. Les étudiants syndicalistes mirent le doigt à maintes reprises sur les désastres où peut mener le régime d'études LMD si son application se fait aveuglément. Ils n'eurent pas beaucoup d'occasions pour crier leur colère, mais quand ils pouvaient le faire, ils répondirent présents, même si leur nombre s'est depuis plus d'une décennie considérablement réduit. Honneur donc à ces jeunes « héros » qui, depuis le 14 janvier, ne manquent pratiquement à aucun appel pour le soutien d'une cause juste, quelle qu'elle soit : politique (en particulier les deux sit-in de la Kasba), sociale (manifestations diverses à Tunis et dans les régions pour l'emploi des diplômés), culturelles (participation massive aux débats sur l'identité, sur la laïcité, la liberté d'expression dans l'art etc.) et surtout humanitaires (magnifique élan de soutien en faveur des refugiés libyens et des régions déshéritées). Satisfaction et amertume Concernant les enseignants de l'université tunisienne, on peut difficilement parler de contribution héroïque à la Révolution de leur part, même si le syndicat du Supérieur et malgré la scission qui le paralysa durant près de 15 ans, mobilisa tant qu'il put les universitaires pour s'opposer aux soi-disant réformes dictées par le régime. On doit aussi reconnaître qu'après le 14 janvier, l'enseignement supérieur fut l'un des rares secteurs de la fonction publique à avoir sacrifié ses revendications matérielles et à n'avoir jamais manifesté pour des promotions ni pour semer la zizanie dans la Cité ! Les principales requêtes « révolutionnaires » des universitaires avaient trait à la transparence, à la démocratie et au mérite dans la gestion des établissements universitaires : c'est pourquoi, le principe de l'élection a été généralisé tandis que celui de la désignation fut banni. D'autre part, et grâce à la contribution très critique des professeurs du Supérieur, le régime LMD va être sérieusement révisé dès cet été. Mais nous ne pouvons pas passer sous silence cette amère réalité du désengagement progressif d'un grand nombre d'universitaires des deux sexes : le règne de Ben Ali a comme bâillonné les bouches au sein des élites cultivées. On ne regrettera jamais assez non plus que, depuis les années 80, l'université tunisienne compte de plus en plus de mouchards, de vendus, de corrompus, et d'incompétents pistonnés. L'espoir est mince aujourd'hui de changer rapidement la donne, pourvu que la Révolution ne finisse pas à son tour par enfanter ses nouveaux mouchards, ses nouveaux corrompus ni ses nouveaux pistonnés incompétents ! Fêter autrement la fin d'année Par ailleurs, et en ce qui concerne les résultats de fin d'année, l'heure du changement n'a visiblement pas sonné : cette année encore, on continue dans de nombreux établissements à enregistrer des taux de réussite excessifs ; on accorde le rachat presque systématiquement aux candidats les moins défendables. On prétexte de la conjoncture exceptionnelle créée par la Révolution pour proposer aux étudiants des sujets indignes du Supérieur, et l'on masque la baisse effrayante du niveau général de ces derniers ainsi que les aberrations du système d'orientation en produisant un maximum de diplômés, donc un maximum de futurs chômeurs et tout logiquement un maximum de futurs harceleurs de ministères. Ces derniers jours, on organise les fêtes de fin d'années dans tous les établissements universitaires : c'est pour beaucoup l'occasion de célébrer enfin l'événement sans pompes officielles et sans discours mensongers. Autant en profiter pour soulever les maux véritables de notre enseignement. Assurément, c'est d'abord une fête : commémorons-la autrement dans l'espoir de commencer autrement aussi la prochaine année universitaire.