Par Abdelhamid GMATI Le parti islamiste Ennahdha ne parvient pas à convaincre. Depuis l'annonce des résultats du scrutin du 23 octobre, lui accordant une majorité relative à l'Assemblée constituante, ce parti suscite l'inquiétude auprès de ceux qui ne lui ont pas accordé leurs suffrages, soit la majorité des électeurs. Pour faire face à cela et pour atténuer cette défiance, les responsables islamistes multiplient les propos rassurants, acceptant toutes les demandes qu'on leur adresse, tranquillisant toutes les catégories sociales, femmes, travailleurs, chômeurs, hommes d'affaires, touristes, investisseurs tunisiens et étrangers, responsables de médias, journalistes et autres, s'engageant à respecter toutes les libertés et à ne rien changer aux acquis et au mode de vie des tunisiens. Pourtant, les appréhensions subsistent. C'est que, déjà en cette phase préliminaire, où rien n'est encore précisé ni clair, il y a un décalage entre les propos et certains actes. D'abord, plusieurs personnes n'apprécient pas que le secrétaire général d'Ennahdha s'autoproclame Premier ministre et agit en conséquence alors que la Constituante n'a même pas effectué sa première réunion. On s'interroge aussi, comme l'a évoqué l'éditorial de notre journal (voire La Presse du 3 novembre), sur la visite entreprise au Qatar par le chef historique du parti islamiste. D'abord, pourquoi ce pays et pas un autre? Est-ce une recherche de financement ? Quels objectifs ? Ensuite, la série d'événements qui ont eu lieu ces derniers jours. Des actes d'intimidation ont été commis au sein même de certaines facultés, des étudiants agressant verbalement et même physiquement des enseignantes et des étudiantes à cause de leurs tenues vestimentaires (ne portant pas de voile). D'autres veulent interdire la mixité, notamment dans les restaurants universitaires mais aussi dans les écoles. On avait déjà séparé les hommes et les femmes dans certains centres de vote lors des élections. Le ministère des Affaires religieuses a révélé, il y a quelques jours, que des Salafistes contrôlent des mosquées et lieux de prière (de 150 à 200), où ils se sont transformés en guides spirituels et politiques, distillant des propos d'exclusion et de violence. Ces événements ont donné lieu à des réactions des universitaires, qui dénoncent ces actes et appellent à sécuriser les établissements d'enseignement. Des centaines de femmes, craignant pour leurs acquis, leurs droits et leurs libertés, ont entamé une intense campagne de lobbying pour défendre l'égalité entre les hommes et les femmes en Tunisie. Concernant ces événements, le secrétaire général d'Ennahdha, M. Hammadi Jebali, a indiqué qu'il est totalement contre ces ingérences et que son parti ne cessera jamais de défendre les libertés individuelles. «Nous sommes conscients de ces dépassements et nous les dénonçons. Nous sommes également conscients que la société tunisienne est plurielle et que l'on ne pourra jamais imposer quoi que ce soit par la force. Il est impératif que les libertés individuelles soient respectées». De son côté, M. Rached Ghannouchi tente de faire le rassembleur à chacune de ses apparitions. Ce qui suscite des interrogations, c'est que certaines affirmations sont en contradiction avec les principes même d'un parti d'Islam politique. Et cela ne rassure pas. Alors ? Croire ou ne pas croire ? En réalité la question n'est pas là, le bon sens et le respect des autres imposent que l'on croit ce qui est dit, jusqu'à preuve du contraire. Le problème réel relève de la confiance. Faut-il faire confiance aux nahdhaouis ? M. Mustapha Ben Jaâfer, qui tient à faire partie d'un gouvernement d'«intérêt national», aux côtés d'Ennahdha estime que «Ennahdha doit conformer ses actes à ses paroles», et que «nous allons être vigilants». Le Dr Marzouki, qui, lui aussi, ferait partie de ce futur gouvernement, dit à peu près la même chose. Alors que sera ce gouvernement où les ministres d'un parti vont épier les ministres des autres partis? Un gouvernement de suspicion, de vigilance. Est-ce de cela que la Tunisie a besoin ?