Par Abdelhamid GMATI On pensait que le peuple tunisien était homogène, monolithique, formant un bloc. C'est du moins ce que prétendait l'ancien régime affirmant que l'écrasante majorité de la population était avec lui, à part quelques opposants, ne représentant que quelques dizaines de sympathisants. La réalité, révélée par les élections du 23 octobre, est tout autre : le peuple tunisien est pluriel et recèle une multitude d'opinions, de tendances, de choix riches et souvent complémentaires. C'est là un autre point positif de ce scrutin, qui de l'avis de tous les observateurs a été exemplaire, malgré quelques dépassements, du reste examinés actuellement par la justice. Reste qu'il faut souligner quelques constats : - Alors que le nombre d'électeurs est de 7.569.824, celui des votants n'a été que de 3.702.627 (3.205.845 inscrits volontaires et 496.782 inscrits automatiques). C'est-à-dire que plus de 50% des Tunisiens ne se sont pas exprimés. Les raisons sont multiples et devront être déterminées. Mais ce phénomène n'est pas propre à la Tunisie qui votait librement pour la première fois de son Histoire. Cela existe ailleurs. Aux USA, par exemple, on connaît le même phénomène : aux élections présidentielle et législatives, le peuple américain n'a voté qu'à 56,8% en 2008, à 47,8% en 1984 et à 39,8% en 1980. - Le mouvement Ennahdha a remporté 90 sièges de l'Assemblée constituante, qui compte 217 sièges, soit 41,47 %. C'est à dire que 60% des votants n'ont pas choisi Ennahdha. C'est-à-dire que la majorité (quelque 2 200 000 voix étaient contre) qui s'est exprimée, n'a pas opté pour l'islamisme. Cela veut dire aussi que personne ne peut plus s'exprimer, revendiquer ou soutenir «au nom du peuple». Tout au plus, chacun ne peut qu'émettre des avis représentatifs de quelques-uns. Pas plus. Il n'y a pas de majorité silencieuse et l'électorat n'est pas aussi concentré qu'on veut bien le dire. Cette majorité relative a suffi pour que la déferlante des opportunistes s'installe. Dame ! Il faut être du côté des vainqueurs, on ne sait jamais. Avec le même automatisme constaté lors du déclenchement de la Révolution. Tout le monde est devenu «révolutionnaire», même les ex-thuriféraires de l'ancien régime. Soit, cela pouvait se comprendre, nul ne voulant aller à contre-courant de l'Histoire. Mais là ? Des membres et des sympathisants de partis n'ayant pas attiré suffisamment de suffrage ont décidé de quitter le bateau et de rejoindre les rangs des nahdhaouis. Des journalistes, des intellectuels et d'autres, jusque-là opposés à Ennahdha, se sont soudainement découvert des accointances avec ce parti. On caresse dans le sens du poil. «Plus nahdhaoui que moi, tu meurs». Ce faisant, ils sont contre la démocratie, trahissent les choix des électeurs et préparent la «pensée unique». Le comble est d'entendre des «analystes», des «commentateurs» (y compris des journalistes, notamment des chaînes de télé) expliquer les résultats des élections en prétendant que les électeurs ont «sanctionné» les autres partis parce qu'ils préconisaient «la laïcité» et attaquaient l'islamisme d'Ennahdha, c'est à dire l'Islam. Aucun parti tunisien n'est contre l'Islam et nul n'a le monopole de la religion. Nous sommes en grande majorité musulmans et nous n'avons nul besoin de «plus de religiosité». A l'inverse, des «vaincus» (était-ce une compétition sportive ?), déçus par les résultats, ont fustigé le peuple, l'accusant d'ignorance, d'analphabétisme, bref de tous les maux. Soyons sérieux et arrêtons ce jeu de l'exclusion et de l'opportunisme. Au lieu d'insulter le peuple, de tourner les vestes, d'accuser les partis minoritaires et de diaboliser Ennahdha, saisissons cette occasion unique d'exprimer nos opinions, nos convictions, nos tendances dans un consensus national. C'est le vrai devoir : refléter, représenter et défendre les choix du peuple. Le parti, à majorité relative, l'a compris, tend la main aux autres et assure vouloir établir la démocratie. Il faut le prendre au mot, peu importe les procès d'intention, la suspicion. Les uns et les autres ne doivent pas oublier que le principal apport de la démocratie, outre la liberté, c'est l'alternance. Alors stoppons les thuriféraires et les opportunistes.