Par Abdelhamid GMATI La Presse — Le peuple tunisien a voté, pour la première fois de son histoire, dans la liberté et la transparence. Diverses missions d'observation électorale, tunisiennes et étrangères en attestent et ont évalué positivement («très bien» et «bien») le déroulement de ces élections. Par leur afflux en grand nombre aux bureaux de vote, par leur engagement, par leur discipline, par leur civisme et leur respect des opérations et des autres, les Tunisiens ont gagné leur pari démocratique, l'admiration et le respect des observateurs du monde entier. Car cette opération électorale a été suivie avec beaucoup d'intérêt, en Tunisie bien sûr, et dans le monde. Il paraît (selon la correspondante à Ryadh de la chaîne BFMTV.com) que même Ben Ali, du fond de son exil saoudien, a suivi de très près les élections tunisiennes. Hommage a été rendu aux autorités tunisiennes, particulièrement à l'Instance supérieure indépendante pour les élections, qui pour un coup d'essai a réussi un coup de maître. C'est le parti islamiste Ennahdha qui arrive en tête avec une majorité relative. Bien qu'attendue (les divers sondages l'annonçaient depuis des mois), cette victoire a suscité la déception voire la frayeur des autres forces politiques (partis et indépendants). Toutes sortes d'explications ont été avancées. Peu importe, le peuple tunisien a fait son choix et il faut le respecter. A l'étranger aussi on s'inquiète de cette percée des islamistes. Les médias étrangers, notamment français, multiplient les émissions d'analyse, les uns prédisant une catastrophe pour la démocratie (la révolution a mis fin à une dictature civile pour la remplacer par une dictature religieuse), d'autres promettant la vigilance...Les mêmes inquiétudes transparaissent en Tunisie. Parfois par les blagues et la dérision : «Une grande entreprise, spécialisée dans l'ameublement, travaille 24h sur 24, pour confectionner des lits à 5 places (un homme et 4 femmes)». Les dirigeants d'Ennahdha sont conscients de cette inquiétude et ils multiplient les paroles et les engagements d'apaisement et veulent rassembler. Selon l'un de ses responsables : «Il est hors de question d'abandonner nos acquis, de changer le modèle de société ou de renier les droits de la femme et le Code du statut personnel. C'est même tout le contraire, nous allons renforcer ces acquis». C'est-à-dire que le Mouvement ne va pas «imposer une Constitution comme elle le conçoit abrogeant certaines libertés, comme la liberté de croyance, les libertés individuelles, la situation juridique de la femme et sa place dans la société». La nouvelle Constitution sera élaborée dans le cadre d'un consensus avec les autres partis et les partenaires représentés au sein de l'Assemblée constituante et elle « ne reviendra pas sur aucune liberté et qu'au contraire, elle cherchera à les consolider toutes». De même, «il n'est pas question de faire revenir la femme au foyer comme cherchent à le propager des ennemis du Mouvement... Le travail de la femme est important et constitue un plus pour la société. Est-il raisonnable de paralyser un secteur vital comme le tourisme, en interdisant les boissons alcoolisées et le port de maillots de bain, ou autres pratiques ? Ce sont des libertés individuelles garanties aussi bien pour les étrangers que pour les Tunisiens. Si l'on ajoute à cela toutes les autres assurances sociales, économiques, culturelles, on conclut qu'Ennahdha est un parti comme les autres, centriste, progressiste, prônant la liberté, le libéralisme, la créativité, bref une sorte de laïcité. Et comme il s'agit, malgré tout, d'un parti islamique, on en arrive à se dire qu'avec Ennahdha nous allons vivre dans l'«islaïcité». Faut il croire tout ce qui a été dit et toutes ces assurances ? Disons que ce parti sera jugé sur ses actes. D'abord parce qu'il faut tenir compte du fait que près de 60% des électeurs n'ont pas voté pour le parti islamiste. Une très forte opposition dont il faudra tenir compte. Dans l'état actuel des choses, il ne peut gouverner seul, n'ayant aucune expérience du pouvoir. Etre dans l'opposition est une chose, gouverner est autrement plus difficile. Certes Ennahdha compte beaucoup de compétences dans tous les domaines mais qui n'ont pas d'expérience dans l'exercice du pouvoir. Avoir recours à d'autres est une obligation : si cela réussit, le Mouvement s'en attribuera le mérite ; si cela échoue, ce sera la faute aux autres. Car Ennahdha pense déjà aux prochaines élections, législatives et présidentielles, plus déterminantes dans l'exercice du pouvoir. En attendant, saisissons l'occasion et pratiquons cette «islaïcité».