Par Brahim OUESLATI En attendant la proclamation définitive des résultats, Ennahdha est, dores et déjà, la principale force politique du pays, et il est clair qu'elle pèsera sur l'élaboration de la future Constitution et dans la mise en place des règles du nouveau régime qui sera institué. Sans s'attarder longuement sur le déroulement du scrutin qui a été salué par le monde entier dans un pays «qui a changé le cours de l'histoire et lancé le printemps arabe (Barack Obama), ni sur «cette élection historique qui constitue une étape majeure pour la transition démocratique tunisienne et une avancée importante dans le processus de transformation démocratique en Afrique du Nord et au Moyen-Orient en général» (Ban Ki-moon), ni sur la mobilisation des électeurs et leur civisme qui rappelle cette solidarité des premiers jours de la révolution, nous estimons qu'au-delà de l'euphorie ou de l'inquiétude que pourrait soulever la victoire des islamistes, la route semble déjà tracée pour l'instauration d'une démocratie viable. Il est évident que dans toute consultation électorale, il y a des gagnants et des perdants, comme il y a des surprises et des contre-performances. Mais dans une démocratie, à plus forte raison dans une démocratie en construction, il faut être digne, respecter la volonté populaire et accepter le verdict des urnes, même avec amertume et déception. D'autant plus que les élections de la Constituante ne sont que le prélude à d'autres échéances et leur succès balise le terrain devant d'autres étapes aussi importantes les unes que les autres. Et que les attentes sont grandes à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. Disons-le d'emblée, Ennahdha n'a pas volé sa victoire. Ce mouvement, longtemps persécuté sous l'ancien régime payant un lourd tribut, a su guérir de ses blessures, mobiliser ses troupes et préparer l'échéance électorale de la meilleure manière possible. Avec un travail en amont et en aval et une parfaite distribution des rôles entre ses leaders. Plusieurs facteurs ont, en effet, permis de ressusciter une formation que d'aucuns croyaient laminée. La répression que ses militants ont subie deux décennies durant a suscité un élan de sympathie et de compassion auprès de la population, élan que les Nahdhaouis ont su exploiter, surfant sur leur douleur et leur malheur. Et bien qu'ayant souffert le martyre, ils n'ont pas développé un discours de haine et de vengeance, mais plutôt un discours rassembleur et rassurant, apaisant et moralisateur, réussissant même à rallier plusieurs militants de l'ancien RCD. Répétant à qui veut les entendre qu'ils sont attachés aux valeurs de la démocratie et des droits de l'Homme et que les acquis de la femme sont irréversibles. Mieux structurés et beaucoup plus aguerris, ils sont allés à la rencontre des populations dans les coins les plus reculés du pays, là où le sentiment religieux est vivace et l'attachement aux traditions est palpable, se penchant sur les doléances des gens, apportant leur soutien aux familles nécessiteuses, distribuant des aides en nature et en espèces et promettant des lendemains meilleurs pour les populations vivant sous le seuil de pauvreté. Sur les plateaux de télévision, sur les antennes et dans la presse écrite et électronique, ils ont distillé des messages réconfortants et évité de tomber dans le piège de la provocation que leur tendaient leurs adversaires. En face d'eux, aucune force politique n'a réussi à s'imposer comme contrepoids aux islamistes. Les formations dites démocrates et notamment la gauche, formée essentiellement de communistes et de nationalistes arabes, ont donné l'impression de cafouiller, se fourvoyant dans des discours confus et embrouillés et s'autoproclamant porte-paroles et défenseurs de la révolution. «Ces révolutionnaires de la 25e heure», démocrates de salon, dont certains sont entrés en politique par effraction, se sont, dès le début, trompés d'adversaires, versant leur vindicte sur des reliques. Quand ils se sont rendu compte de leurs erreurs, ils se sont ligués contre Ennahdha pour diaboliser un mouvement qui a déjà pris de l'avance sur eux. Sans proposer d'autres alternatives plus crédibles. Ils s'en sont sortis avec quelques miettes et risquent de ne pas se réveiller de ce coup dur. Même les partis créés avant le 14 janvier et qui ont combattu la dictature se sont livrés à un combat de coqs, voulant, chacun, tirer trop la couverture à eux pour s'assurer le leadership du pôle démocratique. Ceux parmi eux qui ont fait preuve d'humilité et de sagacité, comme Ettakatol et le Congrès pour la République, ont réussi une grande percée, obtenant des résultats plus que probants. Nous ne parlerons pas de la multitude de formations nées après le 14 janvier et qui, à part l'Initiative et un degré moindre Afek Tounès, se sont trouvés complètement laminées. Les résultats des élections sont, aussi, un désaveu pour les nombreux sondeurs qui se sont adonnés à de fausses projections, ajoutant à la confusion et à l'incertitude qui régnaient déjà dans les esprits des citoyens. Ces résultats ont, également, mis au pilori les commentateurs et analystes politiques, dont beaucoup sont survenus de nulle part, qui ont occupé les espaces médiatiques pour débiter des discours frisant souvent la platitude et l'ignorance. Certains d'entre eux, imbus de leur ego et croyant avoir séduit une partie de l'électorat, se sont portés candidats aux élections de la Constituante pour ne recueillir que quelques voix. Humiliant. Ce qui devrait, en principe, les amener à se retirer en douceur, car ils ont perdu leur qualité de commentateurs et n'ont pas gagné la confiance du peuple au nom duquel ils ont longtemps parlé. Reste maintenant ce que va faire Ennahdha de sa victoire et quels lendemains prépare-t-elle pour les Tunisiens dont une bonne partie a montré des signes d'inquiétude malgré les messages tranquillisants des vainqueurs. Bénéficiant d'un capital auprès des populations et, éventuellement, d'un rapport de force favorable, elle pourra faire passer quelques-uns de ses principes dans les futures institutions du pays. Toutefois, ses cadres qui ont passé plusieurs années en prison ou en exil n'ont aucune expérience de la gestion des affaires et doivent, par conséquent, composer avec d'autres forces. Nous y reviendrons.